transversales #04 | au commencement était le camion

À partir de transversales #02 | et les histoires ? j’ai choisi « La Creuse refuse le passage… », « Pour apprendre à chanter… » et « Les camions encerclent Ottawa… ».

Le camion c’est notre saleté. On pollue. On pue. On nous condamne de partout. Alors on a décidé la révolte en clouant le bec aux grincheux : on organise les jeux olympiques des camions. Et dans l’endroit le plus pourri du monde : le département de la Creuse. Creuse où il y a personne. On s’en fout de la gloire, de la célébrité et des performances : ce qu’on veut c’est le camion. On envahit tout. On a construit des cabanes de cambrousse, on a accumulé des bidons d’essence, des garages à huile, des ateliers de mécanique qui font un bruit d’enfer. On a des réclamations politiques comme la détaxation des batteries, on va se faire les jeux olympiques des camions. On a monté des podiums de pneus et de tôles. On lance la cérémonie d’ouverture. Les flics sont venus se masser. Le préfet, un admirateur. Le département de la Creuse nous a refusé, et pourquoi ? Il veut pas de nous, la flamme olympique est trop chère, disent les édiles. Mensonges, hypocrisie, mépris, dictature. On va pas négocier avec ces messieurs dames. On a choisi ce coin juste parce que c’est le plus miteux comme nous. Nous sommes des vrais, on nous arrête pas. Et voilà la cérémonie d’ouverture. Nous allons chanter, nous allons défiler, on a fait un circuit et tant pis si les flics nous tirent dessus. Ça fait trois semaines qu’on s’entraine, trois semaines qu’on bloque tout. La bourgeoisie facebook au bord de la rupture. Moments historiques. Les journaux ne parlent que de nous. On apprend à chanter aux camions. On y passe le temps qu’il faut, mais on veut une splendide cérémonie d’ouverture. Et que ça gueule dans les champs. Avec les klaxons, avec les moteurs et avec les fumées, avec les chocs contre la carrosserie. C’est plein de caisses de résonance, un camion, je l’ai découvert en me disant que moi et mon camion on serait un éléphant. C’est un vieux fantasme de ma sexualité en rouille. Et, surprise, émerveillement, révélation : j’ai immédiatement senti la résonance dans mon ventre énorme, qui était ma remorque, celle de mon camion. On est soudain parvenu aux nuages. J’ai littéralement barri. Je vivais pour la première fois de ma vie. J’étais avec un copain camionneur et c’est lui qui m’a donné le truc. Lui c’est un intellectuel, un subtil : il voit son camion comme un cerf ; mon copain est de la Haute. C’est magnifique. Il parvenait à faire bramer son camion, quasi, uniquement en se mettant dans le mouvement, se mettant dans un certain coin de l’habitacle, tirant de certaine façon le klaxon, la gueule coulée sous le moteur pour crier dans les accumulateurs. Il trouvait en lui-même, en son camion, sa faculté d’animal cerf, sa peau dans la carrosserie, par un ressenti d’ambiance. Ces jeux olympiques c’est formidable. C’est pas qu’on soit contre les policiers, et à vrai dire le mouvement olympique on s’en fiche mais on fait comme avec les vrais jeux, on a invité les mômes de cette province à défiler avec nous les champions, et il fallait voir leurs yeux briller – même les filles. On va tout labourer, même si la Creuse est contre nous. Car on sait qu’on a gagné la bataille du peuple. Le labour du peuple. Les passantes sont conquises. Si elles sont pas passantes elles se mettent au balcon. Un autre n’en est pas revenu de voir nos camions se tenir si droit pour défiler, si ensemble, si beaux. Pour la parade on a sur-gonflé les pneus, on a joufflue les carrosseries. Comme circuit on a choisi les petits chemins de campagne pour avoir plus de boue, on va faire un bordel pas possible dans le trou du cul de la France. Et pour chanter on va faire mieux que les oiseaux. Si les flics nous poursuivent on se transformera en monstres crachant, ou s’il y en a chez nous qui sont gentils en chats ronronnants : on fait souvent dans le chaud. Je vous raconte pas, ou plutot si, je vais vous raconter nos exploits, car on les a vraiment faits tout entiers ces jeux olympiques. Des camions qui jouent au foot, qui nagent dans une piscine, qui se battent au judo… Même la police va aimer.

Un commentaire à propos de “transversales #04 | au commencement était le camion”

  1. Y’a pas mieux que la Creuse pour les camions. Après lecture, j’en suis convaincue. L’année prochaine j’achète un camion et j’y vais.