transversales #04 | Comment serai-je ?

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A la différence de la femme qui avait bien voulu relire son texte, l’homme qui ne relisait jamais avec exigence ce qu’il s’efforçait d’écrire, n’avait jamais été capable de rassembler les fragments de ces détails de la vie qui troublent le lecteur, le confondent, l’emportent, l’enveloppent jusqu’à le faire douter de ce qui est réel ou pas. Aussi n’avait-il jamais rien commencé sans se perdre d’abord lui-même dans un labyrinthe de citations, d’exergues, de prologues, de préambules. Des précautions prolégomènes comme autant de fuites, en arrière. A croire que circonférer ,ambire, était pour lui la seule issue possible quand la peur d’aller droit au but s’emparait de ses entrailles. Le nuage qui s’était formé au dessus de lui ressemblait beaucoup aux lenticulaires que le vent d’ouest formait habituellement en altitude. Quelque chose, quelque part, était pourtant différent. Difficile à décrire, impossible à savoir. Une indicible différence. Ce dont l’homme était sûr, c’est que ce nuage qui avait l’air intelligent n’aurait peut être pas eu ce comportement si pour enregistrer le message de la première sonde Voyager on avait pas choisi un putain d’enfoiré de menteur.

2

A la différence de la femme qui avait bien voulu relire son texte, l’homme qui avait passé l’essentiel de sa vie à écrire sur commande, parvenait rarement à laisser du temps au temps. Il ne laissait rien mûrir, rien reposer, rien s’améliorer. Passé un certain âge, devenir libre n’était pas une étape facile à franchir. Il n’avait aucune prétention, aucune ambition. Aucune envie de transformer le plomb en or. Écrire n’était qu’un jeu, un jeu d’écritures. Un jeu de rôles aussi où le drôle qui écrit se débarrasse de la patate chaude aussi vite qu’il peut, n’espérant, ne rêvant, que d’une unique chose: qu’un lecteur, une lectrice, s’y brûle les yeux et lui fasse signe, un clin d’oeil. La seule question qui au fond l’obsédait et traversait toutes ses écritures, est une interrogation tordue, vaine, sans queue, ni tête. Quel autre serait-il devenu si, il y a longtemps, très longtemps, il avait pu dénoncer ce putain d’enfoiré de menteur ?

3

A la différence de la femme qui avait bien voulu relire son texte, l’homme qui n’avait jamais rien imaginé à partir des riens de la quotidienneté, était toujours en quête de cohérences, à la recherche, toujours vaine, d’une vision globale, totalisante, susceptible de l’aider à comprendre le monde, les luttes, les guerres. Aussi avait-il passé son temps à se tromper en croyant le contraire, à n’y comprendre rien, à ne voir que trop tard que c’était contre soi d’abord qu’il fallait penser. Partir à l’assaut des Encyclopédistes, interroger la Nature et l’Histoire, se vouloir Diderot. Il avait tenté. Il s’était accroché. Marx revisité, Gramsci, Bourdieu. Il s’accrochait toujours comme il pouvait.Tosel, Spinoza, Bauman. Tâche impossible. Il ne serait jamais à la hauteur. La superficialité de ses insuffisantes et paresseuses lectures comme les artifices dont il se servait pour écrire ne pouvaient rien empêcher, rien cacher, rien masquer. On ne naît pas bègue : on le devient. Ce qu’il savait de lui, c’est qu’on le reste. Ce qu’il savait de lui aussi, c’est que l’on peut commettre le pire à surmonter ses peurs. Il ne l’oublie jamais. C’était il y a longtemps, mais ça le hante. Il avait fièrement pris la parole. Il avait rendu hommage à ce putain d’enfoiré de menteur.

Comme taire

Les commencements ci-dessus peuvent éventuellement avoir un rapport avec les trois romans évoqués ci-dessous.

Un

Intelligence du nuage. Trajectoire effrayante. Les savants contre les politiques. Le cerveau qui explose. Un roman qui se trompe : l’apocalypse ne viendra pas d’ailleurs. L’ennemi, c’est nous.

Deux

L’homme qui cherche, expérimente, éprouve son temps. Jusqu’à y perdre sa liberté. Jusqu’à en finir avec la vie.

Trois

Complots, pièges, traquenards, attentats. Envers et contre tout, les deux hommes réussissent leur mission. Ils obtiennent les Lumières.

A propos de Ugo Pandolfi

Journalist and writer based in the island of Corsica (France) 42°45' N 9°27' E. Voir son blog : scriptor.

4 commentaires à propos de “transversales #04 | Comment serai-je ?”

  1. Écrire et écrire encore ce qui dérange et « hante », même si le couteau dans la plaie fait mal. En levant à chaque fois un pan du rideau, comme tu viens de le faire. Ces textes me disent beaucoup !

  2. Un jeu de miroirs ou un je en miroir, je ne sais pas, mais j’ai le sourire et je fais un clin d’oeil à l’auteur.

  3. Répétitions et différences subtiles aux abords de contenus qui se ressemblent, s’assemblent en un tout troublant.
    Bien joué.
    Merci !

  4. j’ai trouvé ça
    La seule question
    au milieu du 2 – j’ai le sentiment qu’un nuage (du 1) s’est posé là – virtuel difficile à cerner, parfaitement présent pourtant – mais de mensonge, point. Continue