tranversales #3-une arrivée

Quelques notes de piano. C’est ce qu’elle entendait en se reveillant le matin dans le nouvel appartement. Cela s’était produit mercredi, mais aussi vendredi et aujourd’hui, elle avait droit à un véritable concert. Elle aimait bien l’idée de vivre au-dessus d’un artiste, mais elle ne savait pas si cela serait du goût de son mari. Depuis l’emménagement à Amsterdam et le nouveau poste de direction à la banque, un rien l’agaçait.

Les responsabilités. Il en avait tellement et puis toutes ces nouvelles données à ingurgiter, les employés à connaître, les rapports à remettre à son N+1. Il fallait faire ses preuves et rapidement, histoire de justifier le salaire honteux qu’il avait réussi à leur extorquer. Alors qu’elle, elle avait la chance de prendre son temps, d’installer la famille, de faire de son mieux pour que tout le monde trouve ses repères. Elle avait quitté son emploi. Après huit ans de comptabilité dans le même bureau d’assurance, elle en avait assez. Et puis marre de la France, aussi. Maintenant, elle flânait jusqu’à l’heure d’aller chercher Camille à l’école. Quelle chance de recommencer ailleurs! C’est sûr, ils allaient faire leur trou et être heureux ici.

Ils avaient loué un meublé du quartier sud. La propriétaire vivait au rez-de-chaussé de l’immeuble. C’est elle qui leur avait remis les clés le jour où ils avaient signé le bail de location. Une femme âgée déjà, mais tonique, Lena, avait-elle simplement dit en avançant sa main. Cheveux blancs, visage strié de rides, le tein légèrement hâlé, une longue veste de laine blanche la recouvrait des épaules aux hanches. Marie la détaillait en montant les escaliers derrière elle, l’ancêtre était loin de la tombe s’était- elle étonnée en soufflant. Aucun mot au sujet des autres locataires, Lena n’était pas loquace. Au manteau sombre suspendu à la patère devant la porte du premier étage, elle pensait qu’il s’agissait d’un homme. Elle savait maintenant qu’il était musicien.

Marie et sa famille occuperait le deuxième étage. Un appartement lumineux, récemment refait à neuf avait dit Lena qui parlait français avec un accent rocailleux. A part le coin cuisine carrelé de blanc et noir, le reste de l’appartement jouissait d’un beau parquet clair. Les portes-fenêtres donnant sur un petit balcon intérieur laissaient entrer un flot de lumière dans le salon. C’est ça qui lui avait plu dans cet appartement aux murs blancs. En face, on donnait sur la rue, une rue calme assurait Lena et aux briques rouges.

Lena semblait proche du locataire du premier étage. Marie l’avait vue sortir de chez lui plusieurs fois. Mais le vieille femme n’avait même pas sourit au salut amical de Marie. Elle avait simplement ignoré sa présence, lui avait tourné le dos, avant de descendre prudemment les escaliers, une main tremblante reposant sur la rambarde. Marie ne lui en avait pas tenu rigueur, la vieille femme devait être sourde, peut-être même qu’elle entendait mal. A savoir comment elle serait, elle, à son âge.

Le piano avait repris.

Marie entre-ouvrit la fenêtre du balcon, un timide rayon de soleil du début d’apres-midi s’immiça dans l’ouverture. Elle s’installa sur le canapé, les deux bras entourant ses genoux, la tête renversée sur les coussins. Elle ferma les yeux et dans un état de béatitude, se laissa absorber par la symphonie. Les touches du piano était effleurées avec lenteur, mélancolie presque. Le ciel s’était soudain obscurçit, de gros nuages gris s’étaient accumulés et bloquaient les rayons. Les doigts s’agitaient, ils dansaient, ils pleuvaient sur le clavier, les touches pleuraient, poussant de petit cris alors que l’eau s’infiltrait par la fenêtre ouverte. D’abord des gouttes sautillantes, puis une flaque ovale qui avançait sur le bois, se précipitait devenant vague, écumante et baveuse. A l’étage, on avait ouvert les robinets, on emplissait une baignoire, l’eau s’écoulait, impétueuse, belliqueuse, armée d’une volonté de conquête. Marie s’éveilla en sursaut, claqua la porte-fenêtre et enfila son imperméable en dévalant les escaliers recouverts d’une moquette grise.

Alors que Marie bravait les éléments pour aller chercher Camille à l’école, alors qu’elle luttait contre les rafales qui secouaient son vélo, appuyant courageusement sur les pédales, alors que ses vêtements se recouvraient d’eau, ses mains glacées se trempaient et qu’une mèche de cheveux lui obstruait la vue, Paul sortait d’une réunion en soufflant, retrouvant la quiétude de son bureau, il s’enfonça dans un fauteuil profond et enclencha la bouilloire électrique; son ronron famillier le calma des intempéries, le parfum familier du cuir souple lui offrit la détente dont il avait besoin pour penser. Penser à ce qu’allait être son prochain mouvement, qui allait être son allié et de qui fallait-il se débarrasser au plus vite. On ne renvoie pas les incompétents, on se débarrasse de ceux qui peuvent vous faire de l’ombre, la devise de son mentor résonnait comme jamais cette après-midi pluvieuse.

Au même moment, deux hommes entraient armés dans le magasin Apple de Leidsplein, l’un avait braqué un employé en lui ordonnant d’ouvrir les réserves. Il était vêtu de vêtements à motifs treillis, portait une casquette militaire sur la tête, il remplissait un sac de toile grossière. Son complice lui tournant le dos, menaçait de son arme les visiteurs éberlués. En quelques secondes, le ciel s’obscurçit, laissant poindre un début de crépuscule. Le vent se leva, donnant le signal de départ aux malfaiteurs, à grand cris, ils firent reculer quelques visiteurs inattentifs qui empêchaient leur passage. C’était presque fini, en quelques pas, ils seraient dehors, leur magot dans les bras, une course folle jusqu’au véhicule qui les attendait quelques rues plus bas et ils se cacheraient. Mais en poussant la porte vitrée, l’homme entendit la sirène d’une voiture de police qui s’avançait en face de lui. Un regard sur la gauche lui fit comprendre que d’autres voitures aprochaient de toutes part, ils étaient déjà encerclés. Il se saisit d’un passant par le cou, recula vers l’intérieur du magasin en posant l’arme sur sa tempe. Sa tête inclinée vers l’oreille de l’homme, il articula entre ses dents: bouge pas ou je te crame.

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.