Trois murmures en avant-scène

GILDA

La fine ligne des sourcils vient se courber dans un étonnement soudain, creusant comme deux incises, nettes, singulièrement profondes, comme si l’innocence ne fût qu’une apparence, qu’il fallait maintenir pourtant.

Et en son for intérieur : elle pensait aux courses à vélo et combien elle haïssait quand la voirie réparait la petite route y déversant toujours trop de graviers qui faisaient riper la roue avant quand elle freinait provoquant les écorchures qu’elle haïssait tant.

Il commence à se fait tard chez ses amis et la conversation a depuis longtemps abandonné son ronronnement, semaine, travail, collègues, embouteillages, la nouveauté au supermarché, la nouveauté en librairie, la nouveauté automne-hiver 2021, le tout nouveau local, la pollution qui baisse, le froid qui arrive, la pluie que l’on hait, la naissance d’un guépard au zoo de. Elle regarde un peu autour d’elle, hésite à se demander si elle a sommeil ou si elle commence à s’ennuyer ou si elle doit reprendre un peu de rosé – acide – de rouge – trop lourd – de blanc – est-il encore frais ? – quand Bruno déclare qu’il pense que François est amoureux.

« Tiens, ça me fait penser qu’il faut que reporte sur le carnet tout ce qui a été fait au premier semestre sinon je ne vais plus savoir où j’en suis et je risque de dire deux fois la même chose. Si tu ne le fais pas tout de suite mémorise-le au moins comme il faut et comme ça, vite fait, bien fait, tout sera clair quand tu daigneras tout écrire sur le calepin. »

BRUNO

Cheveux en pagaille. Tshirt blanc à manches longues légèrement remontées sur les avant-bras. Un mince sourire qui lui donne un aspect rêveur.

En son for intérieur : il pense à sa dernière bataille lors de la régate de dimanche sur une mer faussement calme après la tempête de la veille au matin, aux mouvements saccadés du baume, au foc trop tendu, à sa rage arrivé sur les hauts-fonds, puis cette immense liberté, hurlée au ciel.

Il ouvre la porte du bureau partagé. Tout est encore silencieux. Il goûte le calme, respire l’air apaisé, la lumière pâle à travers la grande baie vitrée, le bouton à peine ouvert de l’orchidée.

« Allo ? Oui. Le temps d’imprimer et je vous rejoins en salle de réunion. »

FRANÇOIS

La ligne de sa mâchoire est douce, nette, franche, mais douce avec un léger duvet, cette barbe naissance blonde-blanche, jusqu’aux commissures des lèvres, des lèvres claires juste un peu charnues.

En son for intérieur : il s’imaginait en haut du colline, juste au-dessus du village de son enfance, saisissant du regard l’ensemble des bois, la mer au bout de l’horizon, les sillons à flanc de roche d’une route ou d’un aqueduc. Quelque chose qui ne devait jamais finir. Quelque chose qui d’un coup le saisissait, l’immensité du vivant dont il n’était qu’une respiration.

Assis en terrasse, il vient de remuer son café, sans sucre, avant de le boire. Il lève les yeux. Un sac en cuir. Des jeans. Une écharpe. Le talon d’une chaussure vernie. Un vieux. Un chien. Un feu qui passe au vert.

« J’hésite encore à aller à cette soirée, sauf que depuis deux mois tu ne vas plus à aucune soirée et que si tu continues ainsi, tu vas moisir avec l’hiver. Mon gars, faut que tu te bouges. C’est pas non plus que tu n’as rien fait. »

(c) sylviepollastri2020

2 commentaires à propos de “Trois murmures en avant-scène”