Va revoir les roses

Je suis un autre que tu regardes.

C’est ce que racontent les joues grêlées sous le maquillage outrageant.
Malgré le masque de poudre aux éclats irisés, le rouge qui déborde des lèvres, le noir des cils qui suinte, on aperçoit la substance de sa figure, la preuve en est qu’ils l’aiment tout autant au réveil, quand elle se montre peau nue.
Elle affiche ses boutons d’acné brandissant leur maturité en macro à l’objectif, s’allume une cigarette, souffle la fumée dont l’image se remplit, et d’un rire sardonique ordonne à ses sbires de coller dans la fenêtre de discussion le lien vers son compte Paypal pour se faire verser des dons qu’elle dit mériter.

La sonnerie intempestive de son téléphone indique qu’elle a reçu l’obole d’un admirateur auquel, si elle n’est pas emportée par ses propres paroles ou son reflet magnifié par l’anneau de lumière qu’elle plante derrière la caméra, elle accorde un merci personnalisé.
Le merci est suivi de la commande à tous ceux qui participent activement à la discussion de gratifier le bénéfacteur d’un # et son nom, s’il n’est pas anonyme, qui serait #anonyme, ce qu’il est bien souvent.

Contrairement à elle.
Qui s’offre entière à l’écran, passe de longues heures à monologuer avec l’œil de verre en ligne de mire, à la virtualité d’un regard d’inconnus, auxquels elle dévoile absolument tout.
Un surnom tapageur, mais son véritable nom aussi, son goûts pour les herbes aromatiques non encore légalisées dans l’état dans lequel elle réside, la nature de ses amours, sans oublier les gros plans des replis de la peau de son ventre, distendue par la perte d’une gigantesque quantité de graisse.

Souvent c’est en se maquillant, ou au volant de sa voiture qu’elle se montre, elle fume toujours.
Des Marlboro dont elle n’oublie jamais de préciser que Phillip Morris ne la sponsorise nullement dans ses propos (quoiqu’elle le souhaiterait), que fumer tue, et que si vous êtes enceinte mesurez ce que vous faites subir à l’enfant que vous portez, mais, pour les autres ; Light’em if you got em ! Ajoute-t-elle en souriant de ses dents toutes blanches avant d’en allumer une.

Lorsqu’elle fixe la caméra, ce qu’elle ne manque jamais de faire, le bleu de ses yeux prend une teinte électrique, irréelle et magnétique, qui l’autorise à dire n’importe quoi pour être vraie et de s’excuser ensuite, si besoin de soutien, parce que la franchise est son fond de commerce.

Elle se teint les cheveux en blond, le marron d’origine est laid assure-t-elle, se peint les ongles en rouge, Ferrari comme elle nomme la couleur, adore ses chats et se trouve belle.
Son humeur altère par moment le rocailleux de sa langue acérée le tout enrobé d’un accent du sud.

Son précédent compagnon, celui avec lequel elle vivait lorsqu’elle a commencé sa chaîne You Tube, est un ancien policier qui aime les armes.

C’est à ses côtés qu’elle a décidé de procéder à un pontage gastrique afin de se défaire de son costume gras.
Son obésité morbide diagnostiquée elle a pu bénéficier de la prise en charge des frais médicaux c’est à ce moment là que sa chaîne a commencé à lui rapporter de l’argent.
Aléatoirement puisque son contenu étant jugé trop âpre pour les annonceurs les revenus n’étaient pas en corrélation avec le nombre croissant de ses abonnés.

D’où que lui est venue l’idée de se faire payer directement, et puis, très vite, le montage de vidéo filmées étant trop fastidieux, elle est passé au live – la discussion en direct – où chacun, armé même simplement de son téléphone, peut participer, l’adorer ou l’insulter en direct et, selon, verser au pot instantanément.

Avant de maigrir elle était un troll mauvais, de ceux qui sévissent sur les réseaux armés de pseudo en rafale, son apparence gonflée en carapace elle jouait la méchante, elle les connaît donc parfaitement, ceux qui la poursuivent des mêmes assauts, elle a été eux.

Voilà pourquoi elle se donne aussi facilement, selon elle.
Avec la ventripotence a disparu l’excuse d’immobilité, le lève-toi et marche de Jésus est criant d’actualité tout comme ses vérités à elle, qu’elle compilera dans un livre qu’elle vendra très cher, donc, puisque vous en profitez gratuitement ici en attendant, n’hésitez-pas à donner, lien joint.

La graisse ne s’est pas évaporée par magie, elle a dû apprendre à manger moins et mieux, et marcher plus, sa métamorphose est infiniment plus profonde pourtant que son apparence ne le laisse entrevoir.
Ce sont près d’une centaine de kilos dont nous parlons, plus que le poids moyen d’un adulte, il lui en reste cinquante à perdre encore pour y parvenir, ils admirent sa volonté, la transformation en mieux qu’à la télévision de Miss Piggy en reine de beauté.

Ce qu’elle dit mais qu’ils n’entendent pas, c’est que la dissolution de son enveloppe a brisé la glace, ils peuvent l’atteindre désormais, elle est à cœur.

Parfois elle s’endort à l’écran tant elle est fatiguée de n’avoir rien à dire, ils sont des milliers à la regarder dormir, fascinés de son audace exhibitionniste miroir de leur voyeurisme craintif.

L’anonymat devient une denrée de luxe, l’envers de la médaille c’est que tu restes pauvre.