#P12 | Valparaiso

1Elle a regardé ses enfants et son mari, leurs photos, elle a pris la voiture et va vers la mer. Ils sont allés marcher dans la Cordillera de los Andes il y a un mois elle ne les a pas revus ils ont disparu. Elle les a cherchés partout, a accompagné les secouristes de montagne, les a rêvés, elle n’en peut plus. Ils lui ont dit une avalanche, peut-être. Elle a laissé la maison, roule vers le nord avec ses rêves, ses hallucinations, son envie de hurler. 2Sergio Larrain et Pablo Larrain, ils ont quelque chose à voir ? 3mapuches chili amérindiens premiers conquista maladie esclavage aborigènes mapudungun promaucaes incas mapochoes cauquenes españoles cordilliera-de-los-andes moluches cuncos juncos picunches pachamama conquistadores maules araucans huilliches chesungun cuncos payos chiloé pehuenches peuple-de-la-terre lafquenches chonos vuriloches gününa-küne ranqueles puelches tehuelches tsoneks patagons chamanes résistance. 4Elle va souvent à la boutique Navidad. C’est lui qui fait ces tableaux. Il superpose des plaques de verre peintes qui donnent l’illusion du relief. Il dit que ce qu’il préfère ce sont les bateaux. Elle, elle regarde les oiseaux. Un jour, elle en achètera un mais pour l’instant, elle n’a pas cet argent. Elle voudrait montrer tout ça à son amoureux qu’elle a rencontré l’autre jour dans le Merval. 5Julos Beaucarne est mort. C’était un ami de Victor Jara. 6Carmenere était un cépage traditionnel du Médoc. Détruit par le phylloxéra, disparu. Début XIXème, des viticulteurs chiliens étaient allés en Europe chercher des cépages susceptibles de s’adapter à leur climat. Fin XXème, un œnologue redécouvre, par hasard, quelques pieds de carmenere près de Santiago. Le Chili, allez savoir pourquoi, n’avait pas été très accueillant pour le phylloxéra. Belle histoire de biodiversité, de plantes allogènes indésirables, envahissantes 7Appuyés sur la paroi, serrés l’un contre l’autre comme s’ils avaient peur que la vitesse les aspire. Il est plus grand qu’elle, son menton touche ses cheveux. Un bras brun, bague à chaque doigt, s’échappe de cet enchevêtrement de corps, cherche les cheveux noirs et, doucement, ramène le tout à portée de baiser. Elle est fagotée dans une salopette trop large, jean délavé, il est grand, trop grand, mince. Ils s’en vont. 8Tu marches lentement sur Subida Ecuador. Ce matin, à la sortie de la boite, tu cherchais un endroit pour te reposer. Tu t’es couché sur un banc dans le parc et quand tu as rouvert les yeux, il y avait una chica sur le banc de l’autre côté de l’allée. Tu es allé la voir, vous avez parlé, marché, visité, déjeuné. Se llama Rosario. Tu t’es dit que tu l’aurais bien accompagnée chez elle esta noche. Elle avait una cita à la Estacion Miramar, tu l’y as accompagnée, elle a retrouvé une amie, elles se sont embrassées, serrées fort et sont parties se tenant par le cou. 9Sam aussi était un ami de Jara. Ils avaient chanté ensemble et avaient été enfermés dans le stade de Santiago. Jara y est mort, Sam a réussi à fuir. Dès qu’il est sorti de cet enfer, il n’a plus pensé qu’à quitter le Chili avec Vera. 10Mateo, cuando estoy en tu suéter, todo mi cuerpo recuerda nuestras carcajadas. Me enrollo dentro como si fuera el lugar más dulce de la Tierra. Y dejo allí un poco de pelo, jalo y hago rodar un hilo alrededor de mi dedo. Me limpio los ojos un par de veces. Me duermo con él. Lo paseo sobre mi piel que te ama. Lo convierto en un lugar un poco mío. A Mateo : Quand je suis dans ton pull, mon corps tout entier se rappelle nos éclats de rire. Je m’y enroule comme s’il s’agissait de l’endroit le plus doux de la Terre. Et j’y laisse quelques cheveux, je tire et fais rouler un fil autour de mon doigt. J’essuie mes yeux parfois. Je m’endors avec. Je le promène sur ma peau qui t’aime. J’en fais un endroit un peu à moi. 11Je suis très menacé en ce moment par les Mexicains ; ils vont peut-être arriver à Valparaiso. Je voudrais donc que tu ouvres la porte de la maison toi-même, ou que les autres n’ouvrent jamais sans avoir regardé par une fenêtre du premier. Les Mexicains sont habillés comme nous, en général très bruns avec des moustaches ; ils viendraient deux ensemble. Il faudrait répondre que je suis absent et qu’on ne sait pas où je suis. Je te serre bien la main, J.V. 12J’ai vu l’annonce de ton décès pourquoi de quoi meurt-on si jeune 13 Sur la photographie, trois hommes en costume blanc assis devant une table près d’un fleuve. Au dos de la photo : apéritif à Brazza. 1930. La mère d’Eusebio désigne celui du milieu : ton arrière-grand-père quand il était administrateur colonial au Congo. Eusebio a 35 ans, deux frères, un blond aux yeux bleus, l’autre très brun, un look amérindien. Superbes. 14Faux papiers, direction Valparaiso. Au contrôle de Limache, le policier a trouvé suspect qu’ils soient juste mariés et que le nom de jeune fille de Vera ne soit pas exactement le même sur tous les documents. Sam pouvait passer, pas elle. Il a activé tout ce qu’il pouvait de contacts et, deux jours plus tard, Vera le retrouvait. Cargo plus ou moins clandestin, traversée discrète et rapide de l’Espagne franquiste, communauté de chiliens exilés à Toulouse. 15Les élections et la réforme de la constitution c’est dans deux mois. La Lista del pueblo c’était un peu nouveau mais ça se casse la figure. On va avoir les mêmes têtes, les mêmes histoires, les mêmes obsessions. 16pinguino-de-humbolds tiuque tordo martin-pescador tórtola chincol queltehue loro-choroy loica flamenco bandurria chucao zorcal siete-colores cometocino-patagonica envol cachudito golondrina-chilena jilguero chercán tenca carpinterito garza-chica piquero yeco perrito pato-real gaviota-cahull pelicano cisne falcon-perdiguero zarapito búho picaflor-gigante migración 17Personne ne les croit frères. Il se voyait d’une famille chilienne depuis plusieurs générations, en partie victime de la conquista. Il se découvre d’un coup une ascendance française et coloniale Son grand-père français était venu au Chili, marié à une amérindienne. Son père, Julio était mestizo. Ça fait beaucoup surtout que les grands parents de sa mère étaient adhérents d’un parti d’extrême droite raciste. 18C’est quoi cette histoire de Mexicains ? Je ne vais quand même pas me mettre à fixer les gens et faire du contrôle au faciès. Ces deux qui étaient là ce matin, ils étaient Mexicains ? De Ciudad Juarez à UshuaÏa, tout le monde ou presque parle espagnol. L’accent peut-être. Paola a passé du temps au Mexique, elle me fera l’accent du Chiapas et je tendrai discrètement l’oreille aux hommes moustachus. 19¿Qué historia contamos cuando no nos contamos más cuentos? tag sur un mur de la ville il se dit que pour lui ce serait plutôt quelle histoire raconter pour commencer à me raconter des histoires mentir me mentir fictionner que mon imagination remplace le réel que le réel ne soit plus ma seule réalité. 20Gracias a Mathieu Amalric, Julien Viaud, Pierre Scoarnec, Vera Glasberg, le poète du métro, Eugène Sandoz, Emmanuelle Cordoliani, wikipedia por sus historias y su participación involuntaria.

A propos de bernard dudoignon

Ne pas laisser filer le temps, ne pas tout perdre, qu'il reste quelque chose. Vanité inouïe.