vers un écrire/film #03 | la joue du jour

Le brin d’herbe rigole de toute sa grasse tige. Ses compagnons ont coupé leurs cheveux.

Le ver de terre sur la route de campagne. Moins 2° sur le bitume. Il ondule comme un roi.

Maintenant que le soir tombe, le dehors est dedans. Sous la lampe, elle recompose l’air vif et la promenade.

Un bol de café posé sur la table de bois et c’est le matin qui prend forme. Intimer au jour l’ordre de prendre date mais de s’inscrire dans du modulable.

Les mouettes de Nicolas de Staël : Alourdies dans un rai de nuages gris, les mouettes crayeuses arrêtées en plein vol.

Le Lavandou de Nicolas de Staël : L’immobilité de l’air est arrivée bien avant l’heure prévue. L’étagement de toutes choses opaques reste en suspens.

Bram Van Velde : Sur la surface plane, yeux et sinuosités. L’intime danse en légèreté ou se tord et se creuse. La traversée de l’oeil, son voyage intérieur. La matière se joue de notre regard, nous entraîne dans les méandres de l’esprit-corps.

Derrière la vitre de la voiture, l’hiver. Sous le ciel bas, les arbres frêles se regroupent. Ils sont nus. A l’écart, Eve se dresse en étrangère, arbrisseau du monde. Sur son tronc, une guirlande de lierre protectrice.

Un jour comme celui-là est sans surprise. Un jour comme celui-là délimite sans trop fermer ce qui peut arriver. Il n’est pas dit que l’avènement de la chose ne soit pas aussi son achèvement. Le jour passé, l’avenir se défait.

La mouche-écrivain : la mouche, ailes repliées, marche à la verticale sur la vitre, tête en l’air. Tout en haut de la surface lisse et transparente, elle rencontre le bois, marche dessus, le traverse. De nouveau sur la vitre lisse, elle avance et s’installe en son milieu. Elle ne bouge plus. Elle pense à inscrire sa présence. Marquer mais sans insister sur le trait. Sur le bord du rectangle lisse on ne peut rien faire de bien. C’est trop pentu pour pouvoir y demeurer sans coulures sans heurter l’idée qui demande toujours plus de soin, plus d’attention et de précision. N’y songeons plus. Rien de bien ne se passera sur le bord mais il pourrait s’y passer quelque chose de fort. Peut-être à tenter plus tard. Au centre du rectangle, l’on peut s’attarder. On peut même s’arrêter. Le champ à investir n’a pas encore grande importance et on peut choisir d’être là ou plus bas ou plus haut. On étudiera les mouvements du soleil et on y réfléchira une chose. Elle permettra la venue d’autres frisures, une histoire courte ou longue ou très longue. Avec des ribambelles d’inscriptions. Elles seront identiques et pourtant très différentes lorsque nous les lirons. Questionnements. Indécisions. A reculons parfois, il me faut marcher. Tête en bas parfois. Il faut bien peser le pour et le contre. Pattes effleurantes ou pesantes. Revoir toujours son étalage. Epancher ou raccourcir ma trainée ? L’éviter pour continuer. Régulièrement et comme pour conjurer le sort, s’adonner à la technique empirique du « faire tête baissée » ce qui permet d’une part, d’avancer dans ses travaux de manière significative et visible. D’autre part, de se procurer un peu de repos propice à d’autres frottements et résultats. La mouche a quitté sa table de travail. Elle ziflotte en zigzagant.

A propos de Louise George

Diverses professions et celles liées au "livre" comme constantes.

8 commentaires à propos de “vers un écrire/film #03 | la joue du jour”

  1. et croiser un brin d’herbe, un matin en bol, un roi gelé, Eve, Bram et les mouettes de Nicolas … d’une mouche écrivant ( marquer sans insister) les images . Merci

  2. Alors le ver de terre comme un roi à -2°, je ne suis pas sûre… mais quelle poésie dans ce début avec cette concision et cette force des mots simples.
    (mais pourquoi toutes ces virgules ? je crois que ça marche aussi sans…)

    • Merci Françoise. Pour les virgules, oui comme toi je pense que le texte pourrait s’en passer mais sa respiration (et la mienne) semble liée à elles (pour le moment). Bonne journée à toi.