vers un écrire/film #06 | embuscade

tu tournes la tête et vois derrière toi le camion en apesanteur | le capot avant est cabré et flotte au cœur d’un geyser ocre brun | une boursouflure noire roule au ras du sol | la scène s’obscurcit par endroit d’un rideau fuligineux | tu as bien entendu une explosion | le geyser devient grêle de pierres | le rideau glisse lentement | le camion soulevé par le souffle est net comme une photographie | l’arrière d’abord redescend et touche la piste | éventré l’avant vrille à droite | atteint un point d’équilibre et s’immobilise | penche vers le sol | se couche sur le flanc droit et tremble dans le brasier | tu cherches des yeux le conducteur et son passager dans la cabine | tu ne vois rien | tu n’as pas lâché les poignées de la mitrailleuse | articulations blanchies par la tension | peau couverte de sable où la sueur troue de minuscules îlots | le freinage violent de l’half-track te tord vers l’avant : tu crains de donner du front sur l’arme | tes bras amortissent | tu sens le camion chasser à droite, déraper et finir face au désastre de l’amas de métal en feu | … ont sauté sur une mine

Me saisissant de la consigne #06, j'ai retravaillé un instant au cœur d'une embuscade, où mon père est pris pendant la guerre d'Algérie. C'est un extrait du récit ALGESIE qui avance peu à peu, encore en chantier. 

A propos de Bruno Lecat

Amoureux des signes dans tous leurs états.

10 commentaires à propos de “vers un écrire/film #06 | embuscade”

  1. Oui, on sent et voit les mouvements ralentis, comme en apesanteur et la tension de ce tu.

  2. C’est efficace, bravo,
    et étonnant, ces deux tu:
    tu n’as pas lâché les poignées de la mitrailleuse/ tu, vu extérieur, passé.

    tu crains de donner du front sur l’arme/ tu, vu intérieur, présent.

    Je ne sais pas si je suis très clair.

  3. L’apesanteur comme état naturel du ralenti. C’est tellement évident que la photo est d’une absolue netteté. C’est fort.

  4. C’est visuel et sonore et puis sourd | une impression de sépia plus que de noir et blanc

  5. Du corps et du métal et ça vibre de toute part. L’irrémédiable netteté. Merci

  6. je te lis après avoir posté ma tentative, je préfère attendre pour lire les autres
    c’est drôle, j’ai utilisé la même forme que toi… je sais que tu l’aimes !
    très réussi, et forcément vibrant