Vers un écrire/film #08 Chris Marker

Mansour le metteur en scène n’aurait pas aimé que j’écrive des oiseaux nocturnes il aurait plutôt aimé que je parle du cri des corneilles très tôt le matin dès l’aube printanière comme dans ce film de Chris Marker Sans Soleil un film que Mansour avait beaucoup aimé et qu’il lui avait fait découvrir un jour alors qu’il lui avait aussi confié son projet de filmer justement toute une série de levers du jour ceux qui duraient encore, ceux de la guerre Les aubes étaient toutes si différentes des blanches aux ocres aux grises aux vermeilles et pourtant la guerre, elle, ne changeait pas Au moyen de son téléphone portable Mansour aurait voulu rajouter aux aubes des jours de paix ces aubes-là Combattre sa fatigue son sommeil et aller les filmer aurait-il eu l’impression de pouvoir changer les choses 

il voulait d’abord envoyer ses images à sa troupe sur Whatsapp pour ensuite les projeter en vue d’un spectacle sur la scène d’un amphithéâtre de Sicile ; au sud de l’Île entre Syracuse et Gela ; la ville où était mort Eschyle ; l’une des premières colonies grecques ; où en 2019 en raison de travaux pour installer sous terre la fibre optique une nécropole grecque remontant au VII-VIe siècle AD avait été découverte ; où en ce lieu les traces anciennes communes d’une ville d’Orient à présent défigurée auraient été autrement illuminées ; à l’aube devant des spectateurs sa pièce aurait été jouée à ciel ouvert avec ce pendant d’un écran légèrement incliné vers le ciel qui aurait montré une aube ou une suite d’aubes prise en Syrie ; dont il aurait été possible de voir toutes les transformations au son d’une musique plutôt aseptisée pareille à celle d’un synthétiseur Lui était aussi revenu en mémoire le bourdonnement du soleil en vrai tel qu’il avait été enregistré par la NASA – envoyé sur Sound cloud par l’un de ses amis il y a quelques années- : cela ressemblait à un bruit dynamique mais anonyme blanc comme sans mémoire

la projection du ou des levers du jours ainsi partagé au même moment entre les spectateurs d’une autre aube en temps réel n’aurait pas nécessité d’attention particulière de la part du public  -libre de regarder et d’écouter voire d’accueillir dans un sommeil cette introduction à la pièce même qui aurait conduit – le temps que durait l’aube- à d’autres scènes projetées en parallèle sur un autre écran mais aussi jouées à voix haute par les acteurs présents et cette fois sans fond sonore- ; elle aurait aussi servi un va et vient visuel aléatoire entre elle et les autres scènes ; ayant eu pour décors des histoires des époques des villes différentes issues de films de livres ou de la vie réelle ; parfois tout se serait mélangé ; parfois dans cette aube on aurait distingué des avions en patrouille se croisant ; des feuilles se balançant ; des fumées ; des  poussières ; ou bien rien

qu’auraient ressenti les spectateurs devant ces aubes d’un pays en guerre en relation avec leur lever du jour le reste de la pièce Qu’aurait été pour eux le matin même la première image devant leurs yeux dans leur quotidien (ces choses qu’au fond ils ne partageaient peut-être avec personne) : des êtres chers, un horaire de travail ou de train – justement celui pour aller voir la pièce-, des projets de vie ? Pour tous ces images auraient été très différentes Elle pensait aux peintures anciennes qui renvoient des craquelures sous la lumière ; ces peintures lourdes obscures sous de fines mosaïques changeantes telles de petites surfaces de verre sous la lumière

A propos de sandrine cuzzucoli

Aime le temps suspendu en contemplant, lisant, dessinant, parlant, regardant le plafond, les visages, peintures, ciels.. Dans mes études passées mais encore présentes!: la littérature américaine, italienne, les beaux-arts, la traduction et d'autres choses depuis... Ecris en revue depuis environ 5 ans, dessine depuis plus, c'est un aller-retour constant un peu comme un Appel de la Forêt, le titre d' un des premiers livres de Jack London- que j'ai aimé!