#voyages #10 | 3 cartes postales & 1 fiction | La Nature a-t-elle encore horreur de la Ville ?

Comme un arbre dans la ville
J’ai des chansons sur mes feuilles
Qui s’envoleront sous l’œil
De vos fenêtres serviles
Comme un arbre dans la ville
Entre béton et bitume
On m’arrachera des rues
Pour bâtir où j’ai vécu
Des parkings d’honneur posthume
Entre béton et bitume

COMME UN ARBRE DANS LA VILLE, Maxime le forestier 1972

Image récente. Une rue familière. Au moment de franchir la barrière à badge. L’arbre est jeune – moins de cinq ans- n’est pas reconnaissable sans feuilles. Tronc gris éléphant plutôt lisse. C’est une espèce robuste pouvant supporter ses conditions de vie carcérale au milieu du béton. Taillé de frais, il attire l’œil. Sur les branches supérieures un nid de pies, inaccessible au moindre chat. Astucieuse cabane perchée, chef-d’œuvre d’oiseau bavard. Il nous donne envie d’en faire autant. Derrière, d’autres bâtisses rutilantes, toutes à faible émission carbone. Le bois y vieillit mal. Ciel gris crispé de pluie. Bandeau de lumière sans bleu en dessous, écrasé. En face à droite, dernier étage, panneau glissant de fenêtre ouvert. Printemps !  Végétation fourmillante contre la grille, bourgeons minuscules, premières feuilles tendres sur l’arbre faux -jumeau (?). La ville économise l’énergie et réintègre timidement Mère Nature. Elle semble  vouloir se racheter une conduite… La politique écologique est maintenant visible.

Un parc somptueux. Un poumon dit-on, au nord de la grande ville. Immense grille à trois entrées. Fer forgé et dorures. Des visites incessantes. Promenade en familles, poussettes, engins à roulettes. Tout est réglementé. Sportifs et sportives en quête d’oxygène. Solitaires et badauds à canne, lecteurs, lectrices, toutes générations confondues. Le parc est une Anthologie de verdure répertoriée où les derniers animaux sauvages en captivité paraissent incongrus désormais. Ce qui faisait la renommée du lieu, depuis la mort des éléphants de cirque tuberculeux, disparaît peu à peu. Les cages à singes sont toujours aussi pitoyables. Les crocodiles incarcérés dans une maisonnette aux odeurs pestilentielles se sont momifiés sous le regard de ceux et celles à qui ils font peur. Seules les girafes ont l’air de prendre leur sort de haut. Et les tortues d’eau font rire à force de faire des pyramides de carapaces avec des gueules de mégères acariâtres. Dans un si joli parc, on peut encore mourir d’ennui ou de claustration au milieu des roses célèbres. Guignol et ses marionnettes pour les gones n’a pas vieilli. Les jeux d’enfants saturés de présence et les marchands ambulants de friandises et ballons restent  une hantise pour les parents peu fortunés. Que de pleurs et de réclamations autour des stands de cacahuètes qu’on n’a plus le droit de donner aux animaux, même aux canards et aux cygnes. Les grilles d’entrée offrent pourtant une promesse que la magnifique collection d’arbres et de plantes justifie car elle est généreusement tenue.  Comment ne pas penser à Manet en contemplant les nénuphars en fleur. Cette carte postale rameute une nostalgie qui a dépassé le siècle et demi.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’appellation du lieu dit de « La Tête d’Or » précède de loin la création du parc. La légende voudrait, en effet, que les Croisés y aient enfouis jadis un trésor dans lequel se trouvait une tête de Christ en or. On raconte qu’en 1855, une voyante aurait été engagée pour retrouver le précieux vestige, mais que, malgré tout ses efforts, elle ne put en déterminer l’emplacement. Légende ou réalité, à ce jour le mystère de la « Tête d’Or » n’a toujours pas été élucidé…La création du parc Le parc fût créé au 19e siècle sous l’impulsion du préfet et maire de Lyon Claude-Marius Vaïsse dans le but de « donner de la nature à ceux qui n’en ont pas ». La réalisation du parc fut confiée en 1856 aux paysagistes Denis et Eugène Bühler et à l’ingénieur Gustave Bonnet. Le parc fut ouvert un an après le début des travaux qui prirent fin en 1861. La partie zoologique et le jardin botanique furent créés respectivement en 1865 et 1887. La roseraie, quant à elle, plus contemporaine, fut conçue en 1961.

Une sorte de navire de verre et de métal épinglé comme un papillon à la rencontre de deux fleuves. Il a remplacé et agrandi pour inclure des expositions, le vieux Musée Guimet des quartiers chics  près du grand Parc de la Tête d’Or. Comme pour les sculptures alambiquées contemporaines, les architectes se sont voulu futuristes. En faire le tour d’un seul regard est impossible. Mais il en impose. Une sorte d’insecte trapu arrimé aux berges du Rhône et de la Saône . Il semble attendre qu’on le laisse glisser jusqu’à l’eau. En attendant le prochain Déluge, des péniches se comportent déjà, pour lui, comme des poissons pilotes au chômage. L’architecture extérieure paraît plus vaste que le volume intérieur mangé par des escaliers trop gourmands. Non loin, le Pont Raymond Barre  relie le 7° et les Halles Tony Garnier à Perrache par le tram. Les grandes ambitions du quartier Confluences ont englouti des budgets pharaoniques, mais les habitant.e.s  sont content.e.s . La vieille ville et ses collines qui prient ou travaillent se sont  dotées d’un vaisseau spatial ultramoderne à la poupe de ses ambitions internationales.

FICTION

Elle n’a guère compris la ville. Sa désorganisation spatiale et son grouillement humain inquiétant. Venir jusqu’ici tient déjà d’une opportunité qui frôle le défi. Autre langue, autre alphabet, autre façon de tenir les gens dans la dépendance d’un pouvoir qui a connu la dictature. Un pays paranoïaque vu de l’intérieur est assez troublant à visiter. Les classes sociales s’affichent dans la rue et les rues marchandes juxtaposent le luxe étonnant et la misère la plus pitoyable. Des citernes d’eau rouillée sur les toits, des climatiseurs enlaidissant les facades et des fils électriques ou téléphoniques partout, dans tous les sens, des bâtiments lépreux et pompeux à la fois, des statues guerrières, des restaurants modernes improbables nichés dans des endroits boueux et poussiéreux , des rues de terre battue et défoncées autour du centre ville; des attroupements autour des touristes pour les faire monter dans des taxis jaunes ou de vieux cars recyclés d’on ne sait où, des marchés perpétuels où les communautés tziganes cherchent à tirer profit des rebuts de la cité. Poubelles bariolées et vidées par ceux qui y puisent leur survie. Des personnes âgées et des mendiant.e.s partout dans les espaces publics et les rues. Les regards sont tristes, épuisés et parfois coléreux. La tension ne décroît qu’en entrant dans les endroits où quelqu’un a établi le contact par la langue, maladroitement expérimentée. Devant ces montagnes de riz pilaf et de burek, ces assiettes de crudités agrémentées de keftas inoubliables, la vie paraît soudain normale et conviviale. C’est une ville irréelle où elle touche au coeur l’incompréhensible fossé entre l’invidu et les membres d’une communauté endoctrinée puis abandonnée à ses régressions sociales. On pense inévitablement à l’univers des romans de Kafka. Le moindre sourire franc y fait figure de miracle. Déracinement.

ALBANie cOLLECTION PRIVEE

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

3 commentaires à propos de “#voyages #10 | 3 cartes postales & 1 fiction | La Nature a-t-elle encore horreur de la Ville ?”

  1. C’est une ville où je vis depuis presque cinquante ans et que j’ai vu évoluer avec ses bons et moins bons aspects. Elle s’est rajeunie et désembourgeoisée grâce à la vie étudiante et le rapprochement des banlieues. Mais l’immobilier lucratif décime les vieux quartiers et il est difficile de préserver la Nature. La nouvelle municipalité très critiquée par la faction marchande essaie de redonner un peu d’air moins pollué à ses administré.e.s mais il est difficile de renverser la vapeur. Sa grande richesse réside dans le passage des deux fleuves que les Lyonnais.e.s aiment longer du nord au sud sur les quais aménagés. Je ne la connais pas aussi bien que ma poche. Je la quitterai volontiers. Je suis une villageoise de coeur.