#voyages #02 | l’arrivée dans la ville

Devant le duty free du ferry, j’enjambe les corps avachies par une nuit d’ivresse. Punks, golden boys, tous mélangés, touillés, cousins germains des bidasses du Paris Brest. Odeur des bières et de cigarettes incrustée dans la moquette orange. Le grand air de la passerelle s’engouffre avec des rincées de bruine matinale avant la descente à la douane de Douvres. On piétine devant la porte en verre dépolie à attendre que les ombres ouvrent le sas. Je sors le sac, prépare, anticipe, retourne la carte d’identité dans la poche, la pose enfin dans la bassine, passe entre deux cloisons. Anything to declare ? Leçons d’anglais, chapter 2. De l’autre coté, des silhouettes attendent avec des pancartes. Personne ne vient me chercher. Petit dessèchement à la gorge, petit trou, pas le temps de m’apitoyer, il faut retrouver la valise sur le tapis roulant, la valise qui émerge des fanes de la baleine. Mon cordon, ma maison. Je me colle à ceux qui partent pour Londres, je suis toute à ma filature, oublie de contempler les falaises, les sœurs Brontee, les deux anglaises et le continent, toutes ces images du départ. Le train, les portes nombreuses qui s’ouvrent de l’extérieur, occupée à caser ma valise, pas loin, à sourire à mes voisins qui vont au travail ou en reviennent. Le vert cricket et les blancs joueurs, dentelles des maisons qui s’égrènent, murs de brique, maisons peintes ou non peintes, marron, blanc ou bleu ou rose, fenêtres étrangères, bow windows avec guillotine ; mots étranges, quais dépassés, tout le monde descend, voix annonçant d’incompréhensibles correspondances, long ruban musical avec quelques mots qui prennent la lumière de mon cerveau. Seule dans le grouillement de Victoria station. Çà va si vite, Charington cross, East croydon, Ellephant and castle, south Kensington, épreuve du guichet, montre ma destination, monnaie mal maîtrisée, tends un billet.Clapham junction, ça claque comme du cinéma. Intérieur nuit dans le tunnel de Clapham avec ma grosse valise et plusieurs sorties, Clapham Hig street, Clapham North, South, Balham, Wimbledon. Je suis bien loin de l’atmosphère estivale et verdoyante de la télé de juillet, où le tennis se partage avec le tour de France. C’est novembre et je commence à me demander la raison de ma venue, la raison de ce déplacement, de ce dérangement. Je ne vois que les marches en mica qui débouchent sur les quais, les carreaux marrons en céramique du mur. Une femme à longue jupe, cheveux remontés, accompagnée d’un petit chien qui a du sentir mon désarroi, vient à mon secours. Pauvre little thing, Candahar road, direction de battersea park road et tout de suite à gauche après la Landerette, et le Woodworth. Je m’accroche à cet itinéraire que je mémorise en me le répétant. Un peu plus pliée par la valise, mais rassérénée, je remonte les numéros de la rue qui sont rangés dans un drôle de sens, des portes peintes de couleurs différentes, et des numéros qui disparaissent, la rue est circulaire, les paires et les impaires jouent à cache cache, je sonne. Have you done a good journey ? Chapter 3. Fine. Je souris benoîtement , je ne vais pas me lancer dans la vérité beaucoup trop complexe pour mon vocabulaire. J’emboite le pas de mon hôte dans le couloir et nous montons l’escalier couvert de moquette qui me rappellent mes séjours linguistiques désastreux, adolescente.

La poussière orange colle à la peau, le ciel tout blanc comme du papier photo, mais pour un monde repeint avec des pots de couleurs différentes, moto taxis bariolés, hérissés, camion grigri, plaque d’immatriculation croyante, Choco boy, Dieu avec nous. Au matin du premier jour, le Monde est coloré, le monde parle. Nous passons au kodacolor , nous passons du muet au parlant. Des bras, des visages, tous des cousins qui s’agglutinent, réclament leur part pour la famille, pour les étrennes, on me propose des guides, on me propose une nouvelle famille, une nouvelle tribu. Gerbe de bras tendus. Que font nos coeurs à battre là bas, à traverser le Sahara, ils ne comprennent pas, mais reconnaissent la langue parlée, articulée, syllabée, chantée et qui prend un rythme différend. Le fils a changé, vieilli d’une barbe, sa femme écarte les importuns avec dextérité, souveraine, avec l’aisance de l’autochtone, on est un peu intimidés tous, après tant d’absence, devant leur présence protectrice. On le suit comme des poussins suivant la canne jusqu’au logis du soir rue mballa Elmounden dans un crépuscule enflammé avant la chute brutale de la nuit. On aperçoit des nuées d’oiseaux. Il paraît que ce sont des chauve souris grosses comme des poulets. Nous mangeons des plats extrêmement épicés sous une ampoule qui clignote, nous transpirons, collons encore de toute notre traversée. Au matin du deuxième jour, ils nous réveillent pour le bus qui s’en va vers les plateaux. Autoroute où les voitures font des embouteillage et circulent à double sens, un policier avec sa kalachnikov qu’il fait traîner dans le sable, et si le chien se déclenchait, arrête une camionnette, fait descendre tout le monde, chauffeur, passagers, les jauge, d’un geste impatient les fait remonter dans leur habitacle avant de les envoyer vers une guérite où végètent des collègues endormis, mais déjà pointe la forêt et la terre rouille, des files de personnes qui marchent le long de la trois voie. Tout défile si vite avec la musique du chauffeur rythmant les nids de poule. Une grand-mère dans une longue jupe taillée dans un pagne et une veste de survêtement rouge et chapeau assorti, me sourie, ses mains partent en éventail avec un pouce résolu à partir en dehors, elle a peut être mon âge. J’ai l’impression de voyager dans les négatifs d’une photo, dans un monde à l’envers, lumineux et inversé. Un homme attend entre deux bornes, élégant dans sa chemise froissée. Nous attendons longtemps le passage du défilé de la fête de la jeunesse, écoliers en uniformes et chaussettes, filles avec chemise de pionnière et couettes et rubans portent des fanions. Arrivée secouée au village, nous nous déplions du car pour cheminer jusqu’à la maison située à l’orée du village, on salue les passants, mes parents, on se serre la main, on se dit à plus tard, jusqu’à la fameuse maison devinée sur les vidéos qui tanguent.

A propos de Hélène Boivin

Après avoir écrit des textes au kilomètre dans un bureau, j'ai écrit des textes pour des marionnettes à gaine et en papier. Depuis j'anime des ateliers d'écriture dans des centres sociaux et au collège. J'entretiens de manière régulière ma pratique auprès du Tiers-livre.