autobiographies #15 | énigme des serrures et des targettes

Dans L’entame des jours | écho-fiction

Maison d‘enfances

Poussière. Mais nécessité de monter au grenier pour replacer une tuile. Une infiltration d’eau s’est manifestée sur la tapisserie du salon. C’est le genre de symptôme qu’on redoute dans les vieilles bâtisses construites de bric et de broc, vulnérables  malgré l’insertion d’énormes pierres de rivière, mais farcies de matériaux hétéroclites. Un fatras de petit bois, plâtre, paille, terre déshydratée, rouillures tordues, le tout maintenu par plusieurs couches de galandages successifs et bon marché. Autrefois, on ne jetait pas volontiers ce qui pouvait combler les vides dans les murs non porteurs. Seuls les angles devaient garantir la hardiesse de l’édifice. On voyait grand pour abriter les générations solidaires.

Rodolphe, un homme qui se sait pragmatique, pense à tout cela en manipulant l’ampoule accrochée à deux fils sur une vieille douille. La loupiotte se rallume immédiatement. Il sourit. Ça marche encore ! Cette rustique lampe ne sert pas souvent. Le son sec du déclic familier de l’interrupteur l’a rassuré. Une lampe de poche aurait rendu la visite beaucoup plus lugubre. Mais, dès le hall d’entrée, en passant, il a pensé à en fourguer une, par prudence, dans sa poche. La sachant peut-être encore dans le tiroir à clé d’une petite table brune et sobre, il l’avait retrouvée facilement, puis, ayant ouvert le boîtier de la pile Wonder…il vécut sa première déception ! Les bornes de piles oxydées lui ont rappelé la notion inconfortable de son trop long abandon des lieux.

Avez-vous, vous-même adressé la parole à une des maisons de votre vie ? C’est une question qu’il aimerait poser à d’autres personnes. En attendant, c’est le grenier qui l’intrigue le plus. Cette histoire de tuile n’aura été qu’un prétexte. Il veut bien l’admettre, un vieux trousseau de clés à la main, il a franchi chaque porte en frissonnant un peu. Puis il a laissé venir avec douceur la sensation étrange de présences invisibles, non hostiles, mais qui désormais le laissent seul et déboussolé. Il ressasse maintenant
dans sa tête à peu près tout ce qu’il serait bon de rameuter dans sa vie d’aujourd’hui, pour « y voir plus clair ». Des souvenirs endormis ou des secrets inconnus, qu’importe. Il a rendez-vous avec son passé. À son corps consentant, il a commencé à explorer son langage intérieur. Il va falloir qu’il appelle sa frangine pour lui parler de la fuite et du reste…

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.