calendrier perpétuel

27 septembre 1987

Rencontré quelqu’un d’autre, quelqu’un de bien, notre histoire prend la flotte, quelqu’un d’autre, de l’allure, de la culture, oui, je la connais, notre histoire rétrécit, se résume, se borne, un amour de jeunesse, presque une erreur. M’a caressé les cheveux avant de sortir, ne sait quand reviendra, son geste m’a effiloché à cœur. Froid. Me caler sous la couette. Implosion en roue libre. Un dimanche au teint cireux, un dimanche à envoyer dans des oubliettes tortueuses, dédaléennes, une journée à trouer le calendrier et à laisser béant le 27 sur la trop belle image du mois de septembre, indécent avec ses feuilles au vent et sa rouquinerie tapageuse. L’aube du 28 se lèverait sans connaissance de la consœur qui a officié la veille. Sur l’écran de télé défilent les images incompréhensibles du monde, des infos, un débat, des invectives, Chirac est en Egypte, Michael Douglas erre dans les rues de San Francisco. En joue ! Il vise le jour maudit mais n’ose pas tirer, page de pub, la peinture Valentine lâche une panthère noire qui traverse la chambre, le 27 septembre survit, ne sait plus comment finir. Rentrera-t-elle ce soir ? Le jour s’affaisse sur un reportage animalier.

27 septembre 2005

Le chien est mort. Deux jours que la porte reste fermée sur la petite cour. Il n’aura connu que trois mois le grand appartement, l’espace d’un été. Juin, septembre, un pont. Le chien est mort, il faisait pont justement entre deux tranches de vie, et me reliait encore à la grande maison, quittée, vendue. Que reste-t-il aujourd’hui des lieux d’avant, de la personne avec qui je vivais avant les grands remous ? Quelques objets disséminés, une ou deux photos. Le chien était un fil. Indocile, tout le monde l’aura dit, et qui peinait à susciter la sympathie, tout le monde même en aura ri. Mais une trace.            
Le grand appartement me sourit.  Tout est prêt, le changement de décor a été effectué, et le changement d’habitudes. Mes amours m’ensorcèlent. Pourtant le chien est mort. Une cassure, une veilleuse éteinte. Avant-première des âmes grises au ciné ce soir. Je retiens ce gris, cet indéterminé. Le film patauge sous une bruine persistante et des témoignages hasardeux. Je compte, moi, les pas que l’on peut faire dans le couloir du grand appartement.

27 septembre 2011

Je perds le contrôle. Le coup est venu de l’arrière. Je heurte la glissière de sécurité, en apesanteur. Dans l’habitacle, rien ne se passe, sinon le volant qui m’échappe, je le lâche, je ne sais pas quoi faire de mes mains, les poser sur mes genoux. Le temps s’anéantit, le métronome à zéro, qui dodelinait si bien depuis le matin, égrappant sans sourciller les heures d’un jour apparemment tranquille. Glissière de sécurité, seconde fois, la voiture n’a pas fini de faire la toupie, elle tourbillonne. Je ne vois pas ma vie défiler, est-ce l’annonce d’une non-mort annoncée ? Quel bilan ferais-je de presque cinquante ans de cabossage ordinaire ? L’autoradio continue de fonctionner. Le disque a basculé sur la radio à moins que ça soit moi qui… Pourrai-je l’éjecter tout à l’heure, France Infos, le disque qui est dedans, jour de procès à Bourges, récupérer ma compil de Catherine Lara, on parle de quelqu’un qui a enterré des personnes alors qu’elles étaient encore vivantes, j’y tiens à ce disque, ensevelies à la va-vite, j’ai déjà entendu le récit tout à l’heure, c’est une compil maison, un cadeau, France Infos se répète, c’est insupportable, j’avais sûrement mis le disque, c’est le choc peut-être qui… Je n’ai pas peur, j’en ai pleinement conscience et ai le temps d’en être étonnée. Coup d’arrêt sur la voie de droite de l’autoroute, une chance, descendre, passer de l’autre côté du fameux rail, dans l’herbe mouillée, il pleut, téléphoner, ne pas savoir qui appeler, ne plus savoir et trembler. Où êtes-vous exactement? Un bouchon se forme, enterrés vivants, le fait divers me poursuit, autoroute Lille Bruxelles, côté France, où exactement ? Une femme arrive à pied, elle s’est arrêtée une centaine de mètres plus loin. C’est elle qui m’a percutée. Etaient-ils conscients ? Ce couple, enterré vivant a-t-il réalisé ce qui se passait ? A-t-il senti la terre qui s’amoncelait ? Dans la nuit, des gyrophares.  Monter dans la voiture de police, à l’arrière, avec l’autre femme, qui me parle en continu, répète son incompréhension, se confond en confusions, évoque ses vacances. Est-ce que je rêve ? À l’avant, les flics babillent. Nos voitures respectives seront remorquées. Penser à récupérer mon disque quand je pourrai accéder à la mienne.

           

A propos de Elisabeth Saint-Michel

C'est ma quatrième ( cinquième?) participation aux ateliers proposés par François Bon. Je trouve cela particulièrement énergisant. J'anime moi-même des ateliers d'écriture à Villeneuve d'Ascq (Hauts de France) au sein de l'association Filigrane. Je suis aussi enseignante auprès de jeunes enfants porteurs de handicap. Côté écriture personnelle, j'ai publié deux romans et deux recueils de nouvelles dont le dernier, "disparaître ici" est sorti en mars 2021.

5 commentaires à propos de “calendrier perpétuel”

  1. Des 27 septembre bien gravés dans une écriture fluide qui invite à vous suivre. Merci pour cette lecture, première étincelle du feu d’artifice collectif.

  2. Émue par l’écriture sensible qui nous bascule dans cette réalité partagée, par son expression. Merci pour cette lecture !