#40jours #06 | carte précise

Pour Belleville. À cheval sur quatre arrondissements parisiens. Pas d’autre carte que celle de Michelin. Toutes essayées. Les autres. Toutes approximatives. Brouillonnes. À la limite de l’illisible. Trop colorées. Barbouillées. Confuses et peu aptes au rêve. Au rêve d’arpentage. Au rêve de parcours. Au rêve de faufilade. Au rêve de passage. Au rêve de transgression. Au rêve d’ouverture.  Bouchées. Sens interdits. Figés. Mal éveillés. Seule la carte Michelin. Précise. Jusqu’à la folie. À ne pas y croire. Claire. Dans les inflexions des rues. Des cours. Des passages. Des impasses. Des ruelles. Découvertes. Absolument vraies. Dans la forme exacte d’elles-mêmes. Qu’on ne perçoit pas en marchant. En flânant. En passant. En regardant vaguement de l’intérieur du territoire. Se perdre dans la précision. Rien de vague. Jusqu’aux numéros des immeubles. Pour se repérer. Surplomber. À la fois longer les interstices.  À la fois se glisser. À la fois englober une portion. Large. Vue d’ensemble. Jusqu’aux zones blanches. Des terrains vagues. Encore vagues. On sent bien que ça bouge. Que ça se transforme. Sans qu’on le voie. L’année d’après ça aura changé. On le sait. On remercie les cartographes. De tant de clarté. Offerte. D’être à l’heure. De veiller au grain. On voit où on habite. Où on est passé hier. Mais qu’est-ce que c’est ces traits joignant la rue de Belleville et la rue des Solitaires. C’est marqué. C’est la cour du Palais-Royal-de-Belleville. Cour intérieure. Enfermée entre les immeubles. Passage quasi secret. Invisible quand on longe la rue. Des portes comme les autres. On ne devinerait pas. La carte indispensable. Y aller voir demain. Juste des tracés. Exacts. Pas de superflu. Tout pour l’imaginaire. Pas de monuments dessinés. Le bâti jaune clair. Les tracés des rues blanc. Bordé de noir. Les arbres vert. Juste l’ouverture. Maximale. Celle où tout loger. Soi-même. Y apporter sa connaissance. Chevaucher les lignes. Les enjamber. Toujours de la place. Pour le nouveau. Sauter une strate. Emprunter. De force. D’autres voies. S’y reconnaître. Pour encore s’y reperdre. Rêver de tout savoir. Pas tant faite pour chercher. La carte. Mais pour s’y retrouver. Juger de sa connaissance. Passer du temps. Beaucoup. S’imprégner. Étage mental. L’intégrer. Une fois dans la rue la garder. Image flottante. De retour devant la carte. Vérifier. Ses chemins. Ses parcours. Sa flânerie. Sa dérive. Sur un balai de sorcière. Emprunter toutes les lignes de fuite. Pour connaître. Le vertige. Les basculements. Les repères et les repaires. Belleville est sur quatre arrondissements. Une part de chacun d’entre eux. Être sûr des limites. Cette rue. Pas la suivante. Ce boulevard. Pas l’autre. On a changé de quartier. Au-delà des limites. Qu’on a définies. Plus d’intérêt. Comme à l’étranger. La carte devient purement utilitaire. Ne sert plus qu’à chercher. Des points. Des lieux. Dont on nous a parlé. Auxquels on est sommé de se rendre. Pour une quelconque raison. Dans le quartier aimé. La raison n’a pas sa place. Juste adorer ce dessin neutre. Puissant. Permettant aux faux pas de se rattraper. Tout est dans la précision. De la fantaisie. Paradoxe. Aimer la carte qui nous fait aimer le territoire.

A propos de Fil Berger

Fil Berger, je, donc, compose les textes qu’il écrit avec des artefacts sonores et graphiques et ses pièces musicales avec des artefacts d’écriture et graphiques. Le tout cherche, donc, une manière d’alchimie modeste située entre ces disciplines. Il a publié des livres d’artiste avec le plasticien Joël Leick chez Æncrages et Dumerchez. Quelques revues comme Paysages écrits, Traction Brabant ont retenu des textes. Il a travaillé et composé des pièces musicales documentées sur CD. Il a partagé pendant plus de vingt ans des moments de création avec des chorégraphes, des plasticiens, des auteurs, des improvisateurs et des compositeurs. Il a animé des ateliers d’écriture et de partitions graphiques avec des personnes de toutes sortes. Fil Berger, je, donc, est un improvisateur qui compose et performe en forgeant ses propres outils, ses champs lexicaux, ses instruments, sa présence au monde en les mettant sans cesse en variation continue. Son travail est la recherche de convergences multiples entre... l’idée et la pratique du « baroque » et... la pratique et l’idée de l’insurrection « œuvrière » autonome.

9 commentaires à propos de “#40jours #06 | carte précise”

  1. C’est marrant parce que j’ai eu l’impression de marcher dans un cercle et de faire des ronds avec mes jambes comme dans un menuet. Mais j’ai dû rêver à la lecture de ce texte.

    • Merci, Elvire, pour ce commentaire !
      Oui, ça tourne un peu en rond, avec mon index posé sur la carte et mon esprit qui vagabonde…
      Merci encore !

  2. Fil, tu tiens un sacré truc, ne le lâche pas car il te tient aussi ! l’amour pour ce coin, si puissant, et l’écriture bridée par les points (de suture ?) qui s’envole, j’aime j’aime j’aime,

    • Mille mercis, Cat !!
      Oui, je suis très amoureux. De Belleville et des points qui font tenir le tout !

    • Laurent, je parle de ce coin dont je suis tombé amoureux un samedi matin en 1977. Ce coin ne me lâche pas… C’est ma ville, même si Belleville a beaucoup changé…
      Je te souhaite d’aller y faire un saut à l’occasion !
      Merci à toi.

  3. Merci, Fil, pour ce texte. Un amour comme cela c’est contagieux ! Tiens-le bien ton projet !

    • Bonsoir Helena
      Je te remercie beaucoup pour ton retour, qui m’encourage fort !
      J’ai un peu de retard, ce qui fait que je ne peux plus lire comme j’aimerais.
      Je pense que je vais rattraper…