#40 jours #08 | Passerelles

Selon les vents l’odeur nauséabonde et indéchiffrable de viande bouillie tient n’importe quel visiteur à l’écart du quartier. Au bout de la rue un passage à niveau, puis après des peupliers, une densité d’arbres hauts. Au-dessus de la route, trois tuyaux passent au centre d’une passerelle en fer à quatre mètres quatre-vingt-dix du sol selon le panneau qui notifie aussi par cinq ronds de couleurs et un chiffre les différentes zones du site. En dehors des camions qui entrent et sortent de l’usine, il y a peu de trafic routier sauf aux des heures de pointe, raccourci vers les communes limitrophes. Tout le monde s’arrête avant à la salle de concert des musiques actuelles, chez le boucher industrielle, la maison de l’habitat. La passerelle de fer et ses trois énormes tuyaux relient deux blocs de l’usine de fabrication de collagène et gélatine de porc. Au départ de ces trois tuyaux, sur ma droite, une épaisse fumée accompagnée d’un sifflement, une fuite, un dégazage de haute pression. Juste derrière, un luxe scintillant de cuves en aluminium disposées dans tous les sens et certaines en hauteur, de tuyères brillantes, de colonnes à moitié rouillées, des réseaux de tubulure qui relient l’ensemble ressemblent à la carte stylisée d’un métro. D’autres fumées s’échappe d’un haut tuyau. Devant un parking pour sept véhicules, un long portail bleu clair avec un sens interdit. De l’autre côté, les trois tuyaux traversent un entrepôt parallèle à la route, et derrière visible la tuyère d’une grande cheminée. Les bâtiments administratifs proches de la rue voisinent perpendiculairement l’entrepôt. L’entrée officielle est derrière un portail bleu électrique interdit d’accès au piéton, où les couleurs des drapeaux français et américain et européen sont hissées. Le drapeau de la marque industrielle sur fond blanc est illisible. En face de l’entrée, au fond encore de nombreuses constructions qui ressemblent à des hangars de haute taille. Et sur ma droite, un bâtiment tout en longueur, pas très haut, peut-être dédié au personnel ; sans doute une cantine. Ce petit complexe industriel traversé par une rue passante m’a toujours fasciné.

C’est une parcelle blanche de graviers, six ou sept gros cailloux d’un seul côté marquent l’entrée. C’est un terrain vague non aménagé, bordé par deux rues très passantes, limite de quartier, établissements scolaires à proximité, équipement culturel, voie ferrée. C’est un terre-plein qui laisse voir les pans de murs arrière de constructions avoisinantes, ciment dégoulinant, murs décatis. C’est un lieu de fouilles préventives aboutissant à une découverte préhistorique exceptionnelle d’une dalle de grès préservée, et gravée de deux chevaux, d’un auroch et d’un cerf. C’est un site archéologique de six mille mètres carrés, murets blancs et dalles de pierres et fosses excavés, tivoli, bâche, brouette, grilles, barres de fer et morceau de rubalise au sommet, filets orange. C’est un îlot urbain qui naguère accueillait un projet d’immobilier d’entreprises dans le périmètre de la gare ferroviaire. C’est un parking improvisé sans aucun projet affiché. C’est un parking limité à une heure.

Une rue trop courte et trop étroite pour être nommée boulevard. À l’entrée au-dessus une passerelle métallique recouverte de tôle ondulée joint deux bâtiments d’usine de facture ancienne, murs en moellons, tous les murs, de larges ouvertures de verrières à intervalles réguliers. De chaque côté les bâtiments se ressemblent sans toutefois être identiques. À gauche du boulevard, les voitures sont garées les unes derrière les autres. Et de l’autre côté sur toute la longueur, elles sont stationnées en quinconce. Deux cents mètres plus loin, l’entrée principale est à droite. De l’autre côté une façade rouge, sans doute de la brique.

Boîte à livres au pied d’une tour de garde de château. Îlots fleuris sur de grandes surfaces de gazons verts et coupés. Petits arbres sculptés, plusieurs boules de buis. Réverbères. Signalétique touristique en forme de pupitre au coin du jardin. Des bancs publics au bord des allées, des bancs à l’ombre contre les murs du château. Rues passantes de chaque côté avec feux rouges. Contournent les bus, les camions de livraison, les SUV, les autos, les livreurs uber sur des scooters.

A propos de Michael Saludo

Vis, écris et travaille à Angoulême. J'anime des ateliers d'écriture en lien avec le cinéma.

6 commentaires à propos de “#40 jours #08 | Passerelles”

  1. C’est dessiné avec précision, c’est écrit au Rotring, bravo, on y est.

    • Merci beaucoup Laurent d’être venu me lire entre les lignes de mon papier millimétré…

  2. Précis et souplement rythmé. On se laisse emporter. Et c’est bon !
    Merci, Michael.

    • Merci beaucoup Fil pour ton commentaire, et particulièrement le « souplement rythmé ».