40 jours #11| Lointaines perditions.

Perdue, me perdre, ne pas trouver qui je suis, ne pas savoir où est ma place, être réduite à rien, cesser d’exister, être mal utilisée, cesser d’apercevoir, ne plus retrouver mon chemin, m’égarer, ne pas comprendre…

Rue Paul Bert Paris 11ème

Perdue dans mon premier appartement avec personne à qui parler, surtout les dimanches soirs, accoudée à ma fenêtre, à regarder longuement en bas, tout en bas de l’immeuble, la petite cour intérieure plongée dans l’obscurité alors qu’autour de moi, tout vivait dans les fenêtres illuminées. Là, une famille rassemblée, ici, un couple d’amoureux, encore là, des amis devant un film, encore ici, un homme et son livre. Et moi, je ne savais pas, je ne savais pas quoi faire de moi. Ville multiple, ville d’occasions de rencontrer les gens, de sortir le soir, et pourtant je ne savais pas. Je restais seule à me demander comment allait être ma vie, comment devais-je la commencer, quelle porte fallait-il pousser, quels rues prendre et quelle place trouver ?

Dans plusieurs arrondissements de Paris.

Putain, j’aurai dû le savoir, en être capable de savoir dire mon texte, sourire quand il fallait, montrer mon bon profil, assurer, assumer, mon statut, mon choix, le métier que j’avais pris. Comédienne, putain, j’étais comédienne, je me devais de savoir et de ne pas flancher. Je devais arrêter de me perdre en moi-même, arrêter de me cogner à mes doutes, arrêter de tergiverser dans mes hésitations, je me devais de trancher, de cesser de me cacher. Mais je tanguais, je ne cessais de tanguer. Je brillais en secret et me cachais en public. Je courrais le casting et fuyais quand j’y étais. Ces rues, ces studios, ces caméras auraient dû m’y pousser. Mais non, je tanguais, reculais, regrettais, pleurais, m’en voulait, j’étais où, j’étais qui, je voulais quoi ?

Maternité des Lilas 93

J’avais bien failli ne pas arriver à temps pour accoucher mais ça y est, c’était fait, un bébé, une petite fille, une chambre pour moi toute seule, l’après, l’émotion, la fatigue et elle qui dormait. Qui dormait, qui pleurait, qui fêtait, qu’il fallait changer. Fallait la changer, la consoler et comprendre ses cris. Je la regardais, je l’avais dans les mains, la couche, la couche à changer et elle me paraissait si grande pour un si petit corps. Et elle pleurait, et je ne l’avais jamais fait seule, et je ne me souvenais plus, je ne me souvenais plus des gestes et je la tournais et la retournais et ça ne marchait pas. Et elle pleurait et j’ai moi aussi commencé et j’avais plus envie de l’entendre et je voulais la faire taire et ça puait et j’étais fatiguée. « Est ce que c’était vraiment ça que je voulais ? ».

Partout pendant des années et dans tous les lieux de la ville.

Qui je suis ? Qu’est ce que je veux ? Dois-je dire oui ? Dois je refuser ? Dois je prendre à droite, est ce le bon chemin ? Dois-je mettre une robe ou un pantalon ? Dois je le laisser poser sa main sur ma cuisse ou lui retirer ? Dois je coucher avec lui ou ne pas travailler ? Dois je continuer à rêver ou bien renoncer ? Dois je être moi même et me montrer ou ne rien dévoiler ? Dois-je m’attacher à ce que je pense, crois ou dois-je me laisser dévier, dériver ? Dois-je vivre ou réussir ? Dois-je réussir à vivre ?

Un jour à Paris

Je l’ai rencontré, il m’a dit « tu n’es pas ce que tu montres » je lui ai dit « je ne sais pas où est ma place » il m’a répondu « ta place est sous tes pieds » c’était si bête si simple que j’ai cessé de chercher et j’ai commencé à marcher.

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

8 commentaires à propos de “40 jours #11| Lointaines perditions.”

  1. Bravo, pour ce texte qui nous raconte un parcours de vie, et à la fin, tu trouves. merci.

  2. Ce qui est dit n’est plus non dit. Quelle tourmente dans ce texte sauf à la fin.On dirait une partie de marelle sempiternelle qui n’a pas de règle des enjeux, et il suffit d’une parole ( le bébé fille n’avait pas encore de mots pour consoler celle qui voulait la consoler) la parole de réponse à la question trop de fois posée pour enraciner le corps dans son envie d’exister. Quel parcours mazette !

  3. Merci Clarence pour ce texte-saynète ! Profondément émue de se croiser soi-même dans les tours et détours de tes errances si intimes et si partagées en même temps.