#40jours #14bis | l’étranger

« je ne suis pas tranquille aujourd’hui maman n’est pas rentrée je ne connais pas cet endroit je ne veux pas le connaître ce bruit qui vibre autour de moi fait vibrer mon crâne pénètre ma peau secoue mes os ici ce n’est pas chez moi ce n’est pas moi loin de moi je ne suis plus moi pour la première fois je suis l’étranger 
ce bruit je ne l’ai jamais entendu j’aimerai y trouver du sens j’essaie je vous jure de toutes mes forces d’y détacher des voyelles d’en saisir si ce n’est des mots au moins une accentuation qui me permettrai d’y trouver du sens mais ce bruit n’est assurément pas des mots
vous êtes autour de moi vous me parlez  c’est vous qui êtes à l’origine de la vibration qui me met mal à l’aise vos  visages sourient je ne veux pas vous  décevoir plus que tout je ne veux pas vous fâcher mais j’aimerais que vous arrêtiez  de me parler cette vibration ne peux pas être des mots je n’arrive pas à l’accrocher au langage
tout au plus cela me rappelle le bourdonnement obsédant du frelon ou le grondement de l’orage mais non vraiment croyez moi ce que vous faites n’a pas la musicalité sucrée de la voix de maman même si je vois bien que vous souriez et que vous cherchez à m’apaiser peut-être aussi à me dire où est partie maman vos  visages sont humains mais ce que vous faites avec vos langues vos lèvres ne l’est pas
je voudrais pouvoir vous dire que je vous comprends que vous me faites du bien mais votre vibration ce n’est pas la mienne ce n’est pas la vibration de maman maman qui n’est pas rentrée ce n’est pas moi je ne suis plus moi je suis l’étranger et cette vibration me blesse me vide
je n’arrive plus à penser j’entends le roulement du hoquet qui s’épaissit en un sanglot et monte dans ma poitrine
tout à coup la vibration s’atténue se fait murmure puis simple respiration
une femme qui n’est pas maman me prend dans ses bras et se remet à vibrer je sens sa vibration sur sa peau je crois que je n’ai plus la force de lutter je suis l’étranger je ne suis plus moi je suis perdu
cette vibration sortie de la bouche de la poitrine des tripes de cette femme j’ignore comment elle fait cette vibration prend du relief se démodule s’amplifie je n’en comprend toujours pas le sens mais cela n’a plus d’importance les larmes sucrés coulent en flot dans ma gorge
je n’avais pas prévu les larmes je devrai apprendre à mieux me contrôler à ne pas laisser les larmes s’accumuler ainsi car je le sais le lac qu’elle creusent en moi je sais la force hydraulique je devrai m’entrainer à construire un barrage plus solide seulement voilà je ne suis pas si fort je n’ai plus la force de lutter
la vibration sa vibration perce et fait trembler mon barrage je n’ai plus la force de lutter cela n’a plus d’importance je ne comprends toujours pas le sens mais je ressens sa vibration elle n’est plus sourde et plate elle monte puis descend m’appelle m’attend m’encourage me console
aujourd’hui maman n’est pas rentrée cela n’a pas d’importance je suis l’étranger cela n’a pas d’importance la femme me sourit je n’ai pas besoin de la comprendre je veux seulement que la vibration sa vibration ne s’arrête jamais.

A propos de Géraldine Queyrel

Vend des rêves dans la vie réelle Rêve de fiction le reste du temps. Son blog : antepenultiemefr.

5 commentaires à propos de “#40jours #14bis | l’étranger”

  1. Infiniment triste. Texte de circonstance. Texte de guerre. Ou texte d’abandon…
    Merci, Géraldine, pour cette émotion extrêmement ciselée.

    • Merci Phil, je ne sait pas vraiment quel contexte j’ai voulu donner à ce texte. Au départ il y a cette chanson que j’ai mise en lien: une chanteuse que je ne connaissait pas ( Russe, assez populaire?j’ai vite été arrêtée dans mes recherches par l’alphabet cyrillique) des paroles auxquelles je ne comprend rien ( et ou je n’ai nul envie de comprendre) mais la voix remue en moi quelque chose de viscéral… en opposition du chant: quelle étrangeté que la langue étrangère parlée! Je suis partie de ça: avec un petit clin d’œil pour camus: aujourd’hui maman n’est pas rentrée ( morte?)

      • Oui, tout ça est très sensible et émouvant dans ton texte.
        Encore une fois un grand merci.