#40 jours #17 | elles du quartier

Elle grimpe. Petits pas. La rampe vers la cour. Collège public Françoise-Dolto. Sa robe et son voile. Gris-beige. Elle souffle. Rauque. L’homme. De service. L’attend. Pas de bonjour. Madame. Pas de bonjour. Fadila. Bougonnement. Elle répond. Bonjour. Pas bonjour Monsieur. Elle sort de sa poche. Gros trousseau. Connaît la clé. Toutes les clés. Ouvre. S’efface. Le chef. Pas de merci. Bougonnement. Pressé. A les clés. Lui aussi. Pourtant. Pourquoi s’embêter. Elle se dirige. Petits pas. Fatiguée. Le réduit. Produits. Ustensiles. Nettoyage. Prépare. Commence. Deux heures. Ménage. Avant les gosses.

Travaux. Voirie. Rue des Pyrénées. Trottoir barré. Elle saute. Camionnette. Ajuste. Gilet. Orange fluo. Salue. Camarades. Immigrés. Français. Trois hommes. Rigole. Tape des mains. Check. Enfile. Gants. Va au compresseur. Mise en route. Branche. Tuyau. Marteau-piqueur. Commence. Découper le bitume. Marques jaunes. Les gars. Untel. Une pelle. Untel. La pioche. Font des blagues. Elle n’entend pas. Tranchée. Dessinée. Bitume. Sauté. Reste à creuser. Elle arrête. Demande où est la pointerolle. Font semblant de ne pas savoir. Énervée. Faites gaffe. Je gueule plus fort que vous. Bande de narvalos.

Immigrée. Polonaise. Travaille. Au noir. Garde. Enfants. De la cité. Rue Piat. Chez elle. Fait aussi. Ménages. Appartements. Cages d’escalier. Du quartier. Son mari. Ingénieur. En Pologne. Ouvrier. Coca-Cola. En Banlieue. Refuse. Parler français. Danuta. Elle. Parle français. Accent. Prononcé. Rit et sourit. Tout le temps. Tout le monde la connaît. Bonjour Danuta. Ça va. Aujourd’hui. Croise. Chez le docteur. Dans le hall. Anciens parents. Avait gardé. Leur fille. Il y a cinq ans. Partis. Puis revenus. Donne-moi. Ton téléphone. Échange de numéros. On se voit. Jamais revus.

A propos de Fil Berger

Fil Berger, je, donc, compose les textes qu’il écrit avec des artefacts sonores et graphiques et ses pièces musicales avec des artefacts d’écriture et graphiques. Le tout cherche, donc, une manière d’alchimie modeste située entre ces disciplines. Il a publié des livres d’artiste avec le plasticien Joël Leick chez Æncrages et Dumerchez. Quelques revues comme Paysages écrits, Traction Brabant ont retenu des textes. Il a travaillé et composé des pièces musicales documentées sur CD. Il a partagé pendant plus de vingt ans des moments de création avec des chorégraphes, des plasticiens, des auteurs, des improvisateurs et des compositeurs. Il a animé des ateliers d’écriture et de partitions graphiques avec des personnes de toutes sortes. Fil Berger, je, donc, est un improvisateur qui compose et performe en forgeant ses propres outils, ses champs lexicaux, ses instruments, sa présence au monde en les mettant sans cesse en variation continue. Son travail est la recherche de convergences multiples entre... l’idée et la pratique du « baroque » et... la pratique et l’idée de l’insurrection « œuvrière » autonome.

20 commentaires à propos de “#40 jours #17 | elles du quartier”

  1. Au-delà de peut-être souhaiter aller à l’essentiel ? J’ai le sentiment de croiser ses femmes plusieurs fois et d’en connaître un peu plus à chaque fois. Merci Fil.

    • Bonjour Romain
      Merci pour ton retour !
      Oui, je creuse autour de ce quartier parisien de Belleville.
      Des personnages reviennent parfois.
      Encore un grand merci !

    • Merci, Philippe !
      Les points, ça découpe l’histoire en facettes.
      Ça demande une petite gymnastique à l’auteur et au lecteur.
      Mais j’ai l’impression que ça « colore » le texte, comme un vitrail.

  2. C’est vrai que les points comme respiration courte, fatigue du souffle, épuisement de la vie fonctionnent très bien. j’aime aussi beaucoup. merci

  3. J’aime beaucoup la hachure que provoque cette ponctuaction abrute. Très inspirant, merci Fil.

  4. Bon alors, va pour les hachures puisque c’est ta marche délibérément choisie, ta signature ! pas plus de trois mots par phrases (ça pourrait être une proposition…)
    Et je trouve que la limitation à 90 mots te va bien
    ça t’oblige vraiment au resserrement, tu vas plus à l’essentiel, et du coup ça libère un peu le lecteur
    portraits superbement choisis…

    • Merci pour ton retour, Françoise !
      Oui, la limitation est intéressante.
      L’écriture en facettes demande moins de travail au lecteur.
      Je vais voir jusqu’où je peux tenir sur ce mode-là.

  5. Ils sont superbes ces portraits et pour les hachures, vu que tout le monde en parle :), je trouve qu’elles s’harmonisent parfaitement avec des textes qui ne prétendent pas tout décrire et laissent au lecteur la possibilité d’imaginer, de comprendre qu’elle information se rattache à telle autre. Ce qui est important c’est que le tout fonctionne. drôlement bien.

    • Merci pour ton retour, Helena.
      Ton analyse de la façon dont j’écris est très juste.
      Je suis vraiment pour « partager le travail » entre l’auteur et le lecteur.
      Je suis content que ça ait l’air de bien marcher…

  6. Les petits boulots très ponctués par le temps, les injonctions… finissent par rythmer les personnes, dans tes textes c’est vibrant, on y est, merci Fil!

    • Nolwenn, un grand merci pour ton message !
      On continue les gammes et les arpèges…

    • C’est mon parti pris pour cet atelier.
      Je te remercie mille fois pour ton retour, qui me touche beaucoup !

  7. Trois personnages. Dehors. Dedans. Elles semblent fortes, chacune à leur manière. Force intérieure. Force extérieure. Et fragiles aussi face à leur condition d’immigré ou face aux hommes.
    La première lecture a été dure, mais c’est bien sûr mon ressenti. Mais j’y suis retournée, une fois, deux fois pour aller derrière la dureté.
    Merci pour ces portraits

    • Merci, Fabienne, pour ta lecture et pour avoir persévéré.
      Je suis vraiment content que tu sois passée par là.
      Ton retour me touche beaucoup.