#40jours #34 | Ex Voto livre d’or

Peau d’âne

Amalia n’aimait pas monter au grenier. L’accès par un escalier de bois trop raide et poussiéreux indiquait déjà la différence d’ambiance par rapport aux pièces d’en bas. L’odeur elle-même devenait immédiatement étrange, étrangère, comme venue de temps anciens qu’elle n’avait pas connus ou trop connus justement. C’est là qu’on étendait les draps en hiver pas trop souvent. Une grumeleuse pluie d’angoisse l’enveloppait à chaque fois. Je ne peux pas y monter seule disait-elle et on se moquait d’elle, les enfants aiment les histoires de belle au bois dormant et de quenouille oubliée au recoin sombre dans la tour où elle a été emmurée par son père ou quelqu’un de pas trop sympathique. Ils ont toujours le fantasme de pouvoir déjouer après-coup, un sortilège, une malédiction, un envoûtement injuste et de réparer une faute qu’eux n’ont pas commise. Ils inventent à profusion des histoires qui n’existent pas, qui n’ont jamais existé, mais qui pourraient exister, ils aiment se faire peur et faire peur aux autres.  Ils se fabriquent à bon compte des frissons dont ils sont sûrs de ressortir indemnes. Les fêtes foraines avec leurs manèges horrifiques, leurs labyrinthes à miroirs, leurs balançoires à décrocher les mâchoires, leurs voitures tamponneuses sont un  terrain d’expertise adulé ou redouté. La course à la « trouillardise » est l’un des jeux les plus répandus dans les communautés d’enfants préadolescents surtout, en famille ou  dans les endroits où ils rencontrent les autres. Cap pas cap, on embête les filles, on les provoque, on les embusque, l’imagination ne manque pas, et les meneurs n’hésitent pas à frôler l’interdit ou le danger pour ce faire. Mais dans le club des cinq  les filles ne sont pas en reste, elles sont parfois les cerveaux d’explorations inédites. On nous cache la  vérité la plupart du temps disent-ielles, la fameuse « scène originelle » et bien d’autres choses encore, alors autant se faire une opinion nous-mêmes et surtout nous amuser pour nous rassurer. Ce ne sont pas les visages grimaçants et sanguinolents qui leur font peur, ni les squelettes en fac-similé (sauf la première fois) ils aiment les rebaptiser en les affublant de chapeaux démodés et de parapluies noirs, leur mettre une cigarette dans la bouche… Mais Amalia a des souvenirs qui la rendent phobique. Elle ne montera plus jamais au grenier seule -Ah ! vraiment, jamais seule, tu entends ? On ne saura pas pourquoi aujourd’hui.

Jésus je t’en prie

La narratrice laisse divaguer ses pensées autour des fantasmes littéraires de Kafka, elle ne s’y sent pas à l’aise, les éléments biographiques et historiques, la mort prématurée de l’écrivain ne sont pas pour rien dans son blocage. A quoi bon ressasser des biographies qui suintent l’angoisse et l’impossibilité de la réduire même en imagination. Décoller du réel c’est décoller des peaux également, les remplacer par d’autres, beaucoup plus fragiles, et beaucoup moins protectrices. Le lecteur ou  lectrice persuadé.e du contraire est convoqué.e  à une promenade circulaire anxiogène dans l’absurdité que Camus a bien soulignée. Quoi qu’on fasse, on ne s’en sort pas, ça tourne mal et il faudrait en rire pour ne pas pleurer. Ce n’est qu’une option finalement.

Le cerveau aime ressasser ses circuits récurrents. L’écriture qui cherche le fantastique ne se contente pas d’une réalité qui la perturbe en profondeur, elle se complait dans des hallucinations qui déplacent sans cesse la question. Reste à savoir si la question est bonne à entendre ou à voir s’incarner dans un décor et des personnages nouveaux. Le fait même de regarder attentivement un insecte et de l’imaginer à une grosseur cent fois supérieure à sa taille à côté de soi en version rétrécie peut faire imaginer le pire ou le meilleur, l’art contemporain ne se vend que pour cela. Alice la gamine du conte n’en est pas vraiment revenue et son géniteur littéraire en a conçu une sainte horreur, la pédophilie existe dans l’art depuis longtemps. Est-ce que l’écrire « pour de faux » permet de mieux la combattre ?   Dans tous les contes revisités on détecte aujourd’hui un parfum d’inceste ou de transgression mortifère où les enfants ne sont pas à la fête. Ne pas en rajouter. Mais les enfants ne savent pas en attendant qu’on leur explique la vraie signification des contes fantastiques à rebonds sensationnels. Est-ce qu’on peut faire sauter sur ses genoux une angoisse réelle ?

Merci Marie

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

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