#40 jours #04 | Sol-air

Figure 20 – Couloir – photoperso – 20220614_181235

La première marche, toujours trop haute, la première marche du bus, non du car, et comment s’appelle d’abord cette baguette métallique à rainures, de l’alu peut-être, sur le rebord, crottée, la première marche et l’impulsion à donner, pied gauche, pied d’appui, sur la marche de lino bleu, vert, marbré, surtout blanchie par les pas et les pas qui seront passés et repassés, montés, descendus, remontés, la première marche bleu et vert marbré, et sûrement trouée, déchirée presque, sur les bords, décollées de la baguette, mais pas la deuxième, pas la troisième, c’est juste la première marche avec le coup sourd dessus, pour l’impulsion en montant, et plus fort en descendant, les pas qui tombent, ceux qui glissent sur la baguette usée, patinée, et les autres, à petits pas, comme feutrés, les traine-savates dans l’allée, serrés, entassés, à piétiner sur le lino bleu-vert marbré, à frotter, glisser, en surplace, Eh poussez pas ! et pourtant les marches ça défile plus vite, ça descend, les pas tombent, pleuvent, les coups sur les marches, la troisième, la deuxième, boum boum boum.

La route, le goudron, le gravier, bleu, gris, la flaque des fois et ça luit sous les lampadaires, ça brille, l’eau dans le caniveau en ciment, la ligne blanche de l’emplacement du bus, du car pas dans l’emplacement — c’est étrange ces lignes au sol, ces emplacements, ce besoin de rangement sur la route, de sécurité jusque dans l’arrêt, ces tracés qui ont l’air de contours comme on en voit dans les films, indiquant la posture du mort — Grouille on s’mouille ! ou la poussière, les mégots, le paquet de Lucky chiffonné, les feuilles mortes, la ligne jaune, le trottoir, la plaque de goudron noir, bombée, le papier de bonbon rose et l’image de framboise, piétinée, quand les chaussures se croisent, en tous sens, tennis, godasses, escarpins, cuir, toile, pompes, bottines, synthétiques à bandes, à lignes, à étoiles, à air, croquenots et écrase-merdes — le père de Fred, pas la langue dans sa poche, il aimait pas mes Docks à coque —, déchiquetée la framboise, écrasés les mégots, des feuilles de clopes et des feuilles de cours, traces de chaussures et encre délavée, du papier film qui vole, ‘tention les gars le v’là ! et sous le préau, le monde, les râteliers pleins, les sacs au pied des piliers en ciment, le sol en béton, par plaques décalées, fissurées, ébréchées, le plafond en béton, les toiles d’araignée contre les piliers, la rumeur qui monte, la sonnerie, C’est la première ? — Nan… les piliers qui commencent à se vider et plus qu’un sac ou deux dans l’heure, la bouteille de Coca renversée, l’affiche décrochée, des bouts de papier, des bouts de scotch, des miettes de gâteau, de pain, une tranche là-bas, des petits cailloux blancs, la poussière, Bon on se bouge… ? — Attends j’vais aux chiottes… — Nan…

Si, les petits carreaux gris clair, mats, les traces de pas, les traces de gouttes, les petites flaques sur l’évier et au pied, et pas que de l’eau autour des pissotières, ce pan de céramique blanc à quatre ou cinq emplacements, les traînées de calcaire jaunâtre, grisâtre, la grille au pied et ça éclabousse, le petit filet d’eau qui va de travers, qui arrose même le bas du jean, les pompes, grossit la flaque au sol, Oh y en a un qui s’est lâché dès c’matin… — Grouille… la porte du couloir qui force, le grincement du vérin, les craquements, le claquement et ça tonne dans le couloir, les bruits de pas sur le carrelage crème, les mêmes sur les murs ou presque, et le plafond carrelé, les plaques tachées, comme du café ici, percées par on ne sait quoi, le carré de lumière aveuglant, un sac de toile kaki au pied du mur, le jour au bout du couloir qui irradie, l’escalier à gauche, les marches, la course, on se bouscule, ça ricane, ça résonne, ça tonne, Faites pas les cons ! la porte du couloir qui force, le grincement du vérin, les craquements, la 211 en face, porte et fenêtres ouvertes, stores baissés, le lino d’ombre chiné, les parallélogrammes solaires, presque blancs, l’espèce de tonalité bleue dans la salle, et personne ou juste un petit groupe autour d’une table, une trousse, des feuilles, une qui écrit, What ? y a pas français ? — La prof est malade ! — Yes ! et la course dans le couloir, dans l’escalier, le vérin qui branle, à droite le couloir, Nan… on prend derrière ! la porte coulante, le soleil qui éblouit, le petit chemin de goudron sinueux, l’ombre de la passerelle au-dessus, le massif et le cyprès, le petit portail vert entre les deux, ça couine, le pied dans la flaque, T’es con mes pompes… ! — Bon… on fait quoi maintenant ?

On presse le pas sur la route, goudron, gravier, nid-de-poule terreux, bouches en fonte rondes, petits cailloux, le coup de pied dedans, sable dans le caniveau, la barrière blanc rouillé, le sentier de terre battue, collant, glissant, à travers le parc des expos tout vert, la zone détrempée à contourner, Et merde ! le chemin, les cailloux, le coup de pied et la poussière blanche, le pont sur la Seûle, les seuils de ciment fissuré incrusté de cailloux blancs, les lattes de bois noires, le chemin de terre sous les arbres, les touffes d’herbes le long du bief, de la clôture en face — aujourd’hui, le chemin a été refait, pavé, bordé de massifs de fleurs, le pont blanchi avec un revêtement qui accroche sous la semelle, et les petits luminaires qui vous accompagnent —, la route qui monte, à gauche l’espèce de poterne de la galerie noire, ça redescend, les grosses pierres dans la terre, et l’ombre, et on voit plus où on met les pieds — on voit mieux maintenant, les murs ont été nettoyés, éclaircis, les joints refaits, et le sol a été pavé de bonnes intentions à l’aide de grosses pierres plates et de lampes encastrées —, l’ouverture, la lumière dans la chicane, les escaliers, une volée de marches à descendre, une autre plus loin à remonter, et de l’une à l’autre, une dalle en béton, une plateforme en forme de L, des pierres plates incrustées, entre de hauts murs de moellons, gris, noirs, verdâtres, quelques tags, croix gammées et A cerclés, et cette espèce de cuvette au pied d’un mur, une sorte de fosse rectangulaire, deux mètres peut-être sur un, bordées de longues pierres grises, profonde d’une vingtaine de centimètres, deux rangées de cinq pavés rectangulaires d’un côté et de l’autre, deux rangées de dix pavés carrés au centre, dénivelés de deux ou trois centimètres, et au milieu de cette fosse une grille d’évacuation, souvent bouchée les jours de pluie par tout ce qu’elle finissait par avaler en poussière, cailloux, feuilles mortes, morceaux de verre, peut-être une canette en métal aplatie, et le carton du pack en lambeaux, des mégots, de cigarettes, de joints, ces toncars fabriqués avec des bouts d’étui de papier à rouler Rizla+ et OCB de toutes les couleurs — et on reprenait Billy Ze Kick et les Gamins en folie, « O.C.B. oxyde carton blindé O.C.B. fait tourner fait tourner fait tourner » —, T’es con, mes pompes ! — Vengeance mon pote ! le pied dans la fosse, dans la flaque et la vase qui remonte, l’escalier, la ruelle à droite, raide, humide, des mousses au pied des murs, le ciment glissant, l’emballage papier d’un sandwich collé, mâché, des bouteilles de bière vides au pied d’un grand sac poubelle dans le vestibule, en haut à gauche et on file au fond, les traces de pompe sur les carreaux gris clair, qui fonce, les ombres, Salut Marie ! — Des cafés ? — S’te plaît, ouais ! au fond dans la serre illuminée, aérée, deux balles dans le bab et les joueurs au pied d’argent vont et viennent sur le plateau vert, les cannes branlées, le bab poussé, le sol qui crisse, Oh ! mollo les gadjos ! Bling !

(Et devant la fosse, au pied du mur, une ouverture, demi-cercle bordé de pavés rosés, orangés, ici et là des taches grises, plus ou moins foncées et verdâtres, une grille semicirculaire et deux battants rectangulaires dedans, scellés par un cadenas jaune, à travers laquelle on n’aperçoit rien d’autre qu’un fond noir, menant peut-être dans les sous-sols de la ville, les souterrains frais du château, comme un passage secret pour courants d’air.)

Figure 21 – Galerie – photoperso – 20211222_145555

A propos de Will

Formateur dans une structure associative (en matière de savoirs de base), amateur de bien des choses en vrac (trop, comme tous les grands rêveurs), écrivailleur à mes heures perdues (la plupart dans le labyrinthe Tiers Livre), twitteur du dimanche sur un compte Facebook en berne (Will Book ne respecte pas toujours « les Standards de la communauté »), blogueur éphémère sur un site fantôme (willweb.unblog.fr, comme un vaisseau fantôme).

2 commentaires à propos de “#40 jours #04 | Sol-air”

  1. C’est assez fort d’arriver à tisser une narration juste en glissant de sol en sol, merci et bravo pour ça

  2. Oui, je ne m’y attendais pas vraiment. Je ne savais même pas par quel bout de goudron ou de carrelage commencer. C’est un conseil de classe au collège qui m’a ramené quelques années en arrière, peu ou prou dans le même lieu. Je n’avais plus qu’à suivre le trajet rituel. — Merci Line.