#40jours #10 | de la mémoire en mur

Dans les murs, il y a des trous, vestige de la construction où les poutres des échafaudages y étaient insérées pour les supporter.

Je passe chaque jour dans la rue R. Je le sais. C’est aussi l’un des trois noms de la ville. Par l’exemple la famille qui a le bar Royal au coin de la place, le père, la mère, les trois filles, le garçon, et d’autres cousins, à tour de rôle. L’autre jour le nouveau barbier, visage jamais vu ici, portait ce nom, si j’en crois le ticket de caisse. Je ne sais pas où elle est. Je dis comme les autres, la rue qui conduit à l’école, la rue qui remonte, le raccourci.

Il y des caves qui ont été murées, des ouvertures béantes dans les murs, sans porte, sans volet, sans fenêtre, sans lumière, qui ne sont que béance.

Une seule fois je suis allé chez elle, de l’autre côté. Si souvent chez elle lorsqu’elle habitait la pente. La route je la connaissais, elle portait hors du village puis s’achevait en chemin. Et la maison, je la voyais depuis chez moi de l’autre côté de la vallée. Arrivant j’avais cherché où garer la voiture. Au ralenti l’espace perdait toute familiarité. J’ai passé le portail, descendu le chemin, rien n’avait a voir avec ce que j’avais imaginé, j’étais égaré. Il y avait deux pièces, oui, une table et autour nous avons bu le café, la chambre je l’ai entrevue, je ne peux revoir l’espace et si nous avons été debout, les pas, et la forme du silence. Tout s’est fini devant la fenêtre à regarder l’autre côté de la vallée et je ne sais plus si je me suis vu à la fenêtre, si je me regardais lorsque nous nous sommes frôlés.

Il y a des blocs de tuf rongées par le temps s’exprimant en pluie, canicule, gel. Ils se creusent, se donnent en sable.

J’étais avec l’enfant dans les ruelles en escalier. Il observait le chat de la Bibliothécaire sur la petite place. Elle était devant sa porte. Elle, était à sa fenêtre, de l’autre côté, au-dessus. Allez la voir, elle a aussi un chat (un chaton roux passe rapidement à ma gauche, comme j’écris ceci, derrière la porte vitrée). Nous avons monté les escaliers. La porte était ouverte. Elle était à l’intérieur. L’enfant est entré. Je suis resté sur le pas de la porte. J’ai regardé l’intérieur comme je la regardais à chaque fois que je la croisais/creusait dans la rue. Si je la convoque l’image est presque devant moi. Il y a une image devant moi, beaucoup de blanc, peut-être les murs réellement, des objets rares, âgés, faits à la main. Rien de général. Des caractéristiques. De sa vie, je ne sais rien. J’ai gardé son nom.

Il y des amas de pierre : le mur étroit devenu tas, mais on reconnait la forme arrondie, adoucie des blocs que l’herbe entreprend de recouvrir, la terre de boire.

Il y a tous ceux qui ont passé, des visages sans nom que je croisais chaque jour, puis oublié sans savoir si les noms des morts affichés sur les murs sont à eux. Il faudrait marcher, lentement, enfoncé dans le silence, regarder un mur, un tournant de rue, jusqu’à ce qu’ils reviennent assis, marchant lentement, que les voix soient là, à nouveau, que quelque chose de ces vies perdues trouve son souffle ici.

A propos de Tristan Mat

Tristan Mat vit. Ailleurs. Il écrit. A la main. Site http://www.tristanmat.net/ Profil Facebook: https://www.facebook.com/tristan.mat.735