#40jours #30 | Rangements sur le chantier en cours

Voyage au bout de soi-même.

Ce voyage-là tu l’as fait, au moins un peu petit bout quand tu as réalisé que tu n’avais plus qu’une main. Au début tu as vu, tu as senti, mais tu n’as pas tout compris tout de suite, pas fait si vite la liste infinie des conséquences, de ce qui allait changer pour toi. Puisque tout a changé. Il a fallu tout revoir, tout changer, tout adapter, tout annuler. Renoncer. Voir ce qui peut bien rester dans la case envie quand tout le reste a été annulé, chercher tout au bout de toi-même. 


Avec une nouvelle légèreté́.

Une légèreté toute nouvelle qu’il t’a fallu réinventer et reconstruire. La légèreté ne se pose pas directement sur les cailloux, il faut un endroit douillet pour qu’elle puisse s’installer, avec elle les transitions sont importantes. Si l’endroit ne lui plait pas, elle ne restera pas. Éviter l’humidité, les sentiments lourds et poisseux qui vous collent aux chaussures, les larmes sont les pires, en elles toute légèreté va se dissoudre et disparaître avant même d’apparaître. Les grands mouvements brusques, les changements, la vitesse, le bruit et la fureur ne lui sont pas propices non plus. Elle ne viendra que dans le calme d’un moment apaisé, loin des pensées en tornades, petit nuage tout rond, fragile et délicate.


Tu avais envie de revenir.

Tu voulais revenir pour l’endroit, mais pas pour les gens. Tu avais changé, ils avaient changé, peur d’être déçu de ne plus se comprendre, de ne plus avoir la même prise pour se brancher au monde. Et puis c’est toi qui étais parti, les avait laissés, délaissés même. Disparu, sans donner de nouvelles. Tu reviens abimé, en chien qui a fugué et qui rentre crotté, affamé, et blessé. Mais tu avais envie de revenir parce que tu savais que l’endroit, lui, te prendrait dans ses bras. 


Un endroit idéal pour se cacher.

Le mouvement est le meilleur endroit pour se cacher. On n’attrape pas quelqu’un que l’on ne connait pas, il faut commencer par bien regarder, apprendre à connaitre, évaluer les risques, alors on peut tenter d’envoyer quelques liens, de faire des nœuds trop lâches qu’on serrera par la suite ou qu’on laissera filer. Mais là tant que tu bouges, rien ne te retient, pas de racines, pas de branches, tu es une feuille au vent que l’on n’enroulera pas dans le filet des habitudes. 


Dis-nous ce que tu cherches et nous le trouverons pour toi.

Ils avaient des formulaires, des protocoles, des circuits. De l’expérience. Des « vous savez… », des « vous verrez… ». Mais toi tu ne voulais pas, tu n’étais pas à l’aise avec le faux d’une prothèse, pas envie de son froid, de son mensonge, de son à peu près. Alors tu leur as dit que peut-être mais pas tout de suite. Mais tu savais que ce ne serait jamais. Jamais pour toi. Pour les autres, parfait, pas pour toi. Sans savoir pourquoi. 

Essaie une nouvelle identité́. 

Ta nouvelle identité ne t’a pas du tout plu au début. Pas choisie, imposée. Manchot. Manchot en premier, presque avant humain. Alors tu mettais le bout du bras dans la poche, pour faire semblant, pour qu’on dise, le brun avec les cheveux courts, les yeux marrons et le joli sourire, pas pour qu’on dise, mais si, celui qui n’a plus qu’une main. Maintenant tu t’y es fait, tu l’assumes et tu t’en sers. Un jeu avec toi-même, un jeu grinçant, un jeu pas drôle. Quand tu rencontres des gens, tu comptes les secondes, les minutes, rarement les heures avant qu’ils ne te demandent : et votre main…

Sens la vie dans ton oreille. 

Tu ne sens plus la vie dans ta main, tu n’as plus de main. Plus de caresses, plus de bout des doigts qui effleurent, plus de poignée de main, plus d’ampoules sur le manche de l’outils, plus de froid dans l’eau du matin. Au début dans le manque, dans le plus faisable, la longue liste des impossibilités, des impuissances, liste au négatif. Et puis, doucement, retour vers l’équilibre, découverte de l’autre main, apprentissages, échecs, rechutes et le retour des autres sens, tu sens la vie dans ton œil, dans ta bouche, dans ton nez. Tu sens la vie dans ton oreille.

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

Un commentaire à propos de “#40jours #30 | Rangements sur le chantier en cours”

  1. cela fait froid dans le dos, cette main cette unique main ou plut^t l’absence d’une main. Merci