#40jours #36 | ne parlaient pas

on était venu là ensemble on marchait proche ou a distance je regardais l’herbe j’écoutais le silence avec ses bruits de vies pas sur le basalte insectes vent léger voix au loin d’elles et d’eux venus et les mots balbutient les morts ne parlaient pas c’était des listes les morts ici ne parlaient pas nous étions venus là ensemble on marchait proche ou à distance je regardais l’herbe dans l’herbe chaque brin — mais non tu ne peux pas chacun — je regardais et j’écoutais le silence avec ses bruits de vie au loin pas sur le basalte froissement d’herbe sous la semelle voix d’elles d’eux et d’autres qui étaient venus là mais les morts ne parlaient pas ni ne se taisaient ni ici ni là bas ils ne parlaient les morts c’était des listes eux qui étaient venus là morts et vivants ensemble descendus ou tombés et pendus elles et eux et l’herbe ne disait rien d’autre qu’un vert doux d’octobre et les mots balbutient les feuilles d’arbres volaient comme des cheveux qu’on a coupés il n’y avait pas de neige ni le froid et même le soleil était doux c’était après ou c’est ailleurs avant ou après à Wounded Knee ou ailleurs et sous l’arbre du chemin les mots balbutient sous l’arbre ou étranges fruits pendaient même le soleil était doux et là encore sous l’herbe je regardais la terre dans l’herbe chaque brin et les mots balbutient je regardais là où je m’en souviens nous marchions ensemble et lui ne parlait pas ni moi et les feuilles volaient comme des cheveux qu’on a coupés ou comme des plumes de parures jetées au vent et des chants des chants des chants leurs chants d’avant avec la neige du coton volaient et sous les doigts coupés les mots balbutient quand l’herbe ne disait rien d’autre qu’un doux vert d’octobre et il n’y a pas de neige ni le froid et même le soleil était doux c’était après ailleurs avant ou après nous étions venus et repartis ensemble là ou ailleurs à Wounded Knee ou ailleurs et là là là il n’avait plu ni dans la plaine ni sous l’arbre où pendaient des fruits ni au long des voies ou la mort est un maitre mais sous les doigts coupés les morts balbutient les mots pas les morts ici ailleurs au long des voies de dessous terre ne parlent pas les morts c’était des listes

Ceint de plumes ce doit être leur chef. Son ventre est un trou mais il marche comme si de rien. Somptueux. Coiffé. Il avance vers toi. — WAHCA(fleur) DO PO PA (coton) TONPI (naissance) TA(peau) TAHA (peau) IS (autrement) UMA (autres) SKA(blanc) SAPA(noir) WOTE(manger) WIYU(couleur) ZITKALA SA(rouge) Il avance avec sa parure de plume et son ventre est un trou.— WAHCA DO PO PA  TONPI — Can you ear me? On te parle quand tu voudrais dormir. On t’appelle. Qui? — When? How? C’est une plaine, je la vois. C’est là-bas. C’est loin. Elle t'appelle. Sous la coque qui te muselle il faut inhaler pour ne pas étouffer. Une brume gazeuse au goût de sucre. Tu l’aspires et ton corps se soulève. Tu peux le voir  il flotte comme ton spectre et Elle t’appelle. Regarde ici, oui là. Moi. C’est la plus jeune pensionnaire elle vient juste  d’arriver elle va retrouver sa mère et ses frères et ses sœurs au ciel où l'on est pas couché ; ne regarde pas le trou dans sa tête elle n’aime pas ça Ne regarde pas sa cendre  — C’est moi c’est Anna. Elle est revenue Zog nit keyn mol, az du geyst dem letstn veg,ven himlen blayene farshteln bloye tegkumen vet nokh undzer oysgebenkte sho, s'vet a poyk ton undzer trot : mir zaynen do ! Par les champs. L’aube. Les bois. —  Anna c’est moi . Ne regarde pas le trou de ses yeux  ni sa bouche qu'on a tondue C'est elle c'est Anna — Si je chantais qui me croirait et l’autre juste à côté avec sa robe de trou et de terre, c'est elle. — Can you ear? tu l'entends ?

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

11 commentaires à propos de “#40jours #36 | ne parlaient pas”

  1. Mais quelle claque ce texte Nathalie. J’ai entendu la parole, je l’ai entendu venir jusqu’à mes oreilles en lisant. Quel chant, quelle beauté. Merci Nathalie, merci d’ouvrir le chemin – Bien à toi.

    • merci Clarence j’ai repris le texte depuis tes mots, c’est fait dans l’urgence ( je ne voulais pas vraiment faire cette proposition) et là je ne sais plus trop. Mais merci beaucoup

  2. Magnifique travail de la langue. Une phrase unique sans début ni fin.
    Un chant, oui, mais doux et tragique !
    Merci Nathalie pour ce moment de lecture incomparable !

  3. magnifique, je n’ai pas de mots
    et c’est fou comment ça fonctionne, on glisse, on y est, on marche là et « les feuilles volent comme des cheveux qu’on a coupés »

  4. « c’était après ou c’est ailleurs avant ou après à Wounded Knee ou ailleurs ». Merci Nathalie Holt pour ce texte remarquable qui n’oublie rien des avant et des après, des ici et des ailleurs. Merci Nathalie.

  5. Quel chant magistral et surtout quelle liberté d’écriture qui nous saisit et envoûte ! C’est simplement superbe !