#40jours #08 | sortant de table à Cergy

Cinq fois sortant de table à Cergy, ou six. La cantine administrative est à l’étage supérieur du parking souterrain donc niveau 2 sous la dalle avec à l’étage moins 1 sur des galets blancs une fausse forêt morte de plantes en plastique, on ressort par là aussi c’est comme reconquérir le ciel (encore qu’en bas dans la queue ou la cohue des tables on croise aussi des sous-mariniers en uniforme) il y a le cordonnier que tu n’as jamais vu ouvert et on sort pile devant la queue derrière barrières des personnes en demande de régularisation, face à la BNP et puis devant c’est l’esplanade, au-dessus la tour EDF qui semble se pencher sur toi mais tu sais bien qu’elle est désaffectée et puis à gauche la pyramide inversée de la Préfecture mais tu sais bien qu’elle ne s’occupe que d’elle-même. Au soir tu manges plutôt au Cergy Tokyo parce que toujours vide sauf l’écran avec le match de foot obligé et que la patronne vietnamienne sait déjà que tu prendras le menu 14b avec une bière shintao : quand tu sors tu traverses devant l’ESSEC qui regrette bien d’avoir cru possible de venir s’installer ici mais c’est calme sinon veiller aux véhicules qui surgiraient trop vite du tunnel et l’ESSEC éclairée mais vide sauf s’ils reçoivent des huiles berline avec chauffeur et flics à leur service de l’autre côté du passage piéton quand tu arrives c’est en traversant le bout de parc avec la pièce d’eau toute droite et la pelouse mitée là où on coupe à travers mais repartir du prends par la rampe jusqu’au Don Quichotte ou plutôt son bout de nez qui passe par dessus la haie (qui se souviendrait du Don Quichotte) puis longe l’aile droite de la Préfecture c’est allumé aussi dedans souvent tu as fait des photos en faisant croire que tu avais combine pour t’y balader puis le trapèze lourd et mort du cinéma, lui non plus tu ne l’as jamais connu ouvert, les cinq salles qui devaient à l’origine donner sur là où finissait la ville avant les vieilles terres agricoles mais maintenant que c’est fini l’enseigne 5 cinémas en grosses lettres rouges tu ne la distingues que pour les réverbères qu’entretiennent les vigiles de la Préfecture en face. Cinéma encore quand le midi on vient là puisque le Columbia c’est là où Rohmer avait tourné ce film si fameux et quand arrive le printemps qu’on vient pour s’y mettre à la terrasse même si le service est un peu lent et les courants d’air encore pas mal agressifs ça fait du bien : au-dessus de ta tête cet immeuble construit comme des intersections de ronds et dedans les meubles débrouille-toi pour les appliquer au mur mais il avait été classé et quand ils l’ont dédoublé pour l’isolation ça n’a pas été demi chantier et puis ces juxtapositions de places carrées où jusqu’au bout des cinq ans tu as toujours fini par t’emmêler et les confondre et toujours oui toujours quand tu manges là avec les collègues le fou qui passe en déblatérant à voix haute. L’autre brasserie donc mieux l’hiver, le service plus sport et mêle le café offert, si tu te places vitrine fond c’est cette place donnant sur bus et RER avec ses vagues quantifiées et là-bas de l’autre côté les cinq échoppes grecque turque libanaise et je ne sais plus, et si tu te places vitrine gauche plus curieux on est sous l’escalier qui mène à l’entrée du Auchan donc en surplomb et comme il y a un escalator des fois pour le retour tu fais carrément le crochet pour passer par le toit-jardin si curieusement comme oublié de tous alors que pour la consommation banalisée et généralisée a grouille tant dessous. Le matin venant de l’hôtel bas prix (sauf la dernière et plus laborieuse de tes cinq années avec venue hebdomadaire : aussi minable mais plus cher, reste quelques moments singuliers mais c’est ailleurs qu’il faudrait en parler, le veilleur de nuit que tu avais appris à connaître et devenu père la même nuit que toi c’était grand-père) ou arrivant de chez toi via voiture jusqu’au TGV, TGV jusqu’au métro, métro jusqu’au RER et là avec de la chance tu arrivais à l’heure – si incident pas grave, les étudiants en seraient victimes aussi – l’arrêt dans ce passage par quoi, pour mimer les vieux entremêlements des villes, un passage (en haut de l’escalator sortie RER la mendiante, dans le passage le mendiant) comme un goulet rectangulaire et la déco du Show Gourmand c’était des photos noir et blanc de New York disons qu’ici avec ton double express et ton croissant l’aperçu sur ville c’était l’intérieur du bistrot avant d’entrer dans l’école. Ou la cour de l’école elle-même puisque combien de fois sandwich acheté avec queue boulangerie pour le manger là au pied des ateliers de peinture sculpture : où était le réel, ici qu’on en fabriquait depuis les rêves ? Il y avait aussi quand tu tournais à gauche dans la rue commerçante avec cet escalator si étroit pour la foule qu’il avait à charge de convoyer et ce magasin de perruques et faux cheveux qui t’accueillait dans le souterrain du bas, dans cette rue à la deuxième traverse à droite l’allée de ciment qui emmenait vers la Poste et la Poste conçue à l’époque comme sorte de palais populaire et dans l’enthousiasme de ce qui pouvait naître de nouveaux échanges pas seulement lettres et cartes postales et colis mais les batteries de cabines téléphoniques et les mandats mais qui désormais avait ici besoin de la Poste : la façade avait rouillé et le monumental escalier délavé par trop de pluies polluées, parfois tu aimais à le prendre pour ce mur sur le vide tout au bout rue de France avec cette tranchée ménagée pour les lignes de bus, un petit vertige et tu reprenais le chemin de tes obligations c’est là à cet angle le petit restaurant asiatique tenu par un couple hors d’âge et sans rien pouvoir dire sinon sourire, ce collègue à toi qui ne venait déjeuner qu’ici et du même bobun. Quand trop besoin d’être une heure seul mais c’était quand même pas mal souvent en pleine galerie commerciale entre un magasin de sac, face à un autre de chaussures et avant la Fnac vivant de son ancien luxe, cette boutique chinoise là aussi il valait mieux montrer que parler, mais derrière la caisse c’est par hasard la première fois que tu avais repéré le petit escalier et en haut cette salle d’une douzaine de places et rarement du monde que les couples illégitimes qui naissent du travail, mais toi tu t’asseyais face aux toits et sous l’immense enseigne du Auchan que tu lisais à l’envers ces enfilades de ciment sur escaliers et creusements perpendiculaires, la masse sombre des parkings sans bords et finalement si un jour tu devais y revenir c’est peut-être cela que tu viendrais revoir encore et une dernière fois peut-être photographier.

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Un commentaire à propos de “#40jours #08 | sortant de table à Cergy”

  1. Magnifique vidéo, très touchante, il me semble l’avoir déjà vue alors ou un autre adieu peut-être, que de choses ont eu lieu depuis…