Un sphinx met de la vitesse là où le temps s’est arrêté

Yamen

L’enfance satine joues brunes et rondes, supportant sans peine regard de Méduse tagué en bleu.
En son for intérieur, un sphinx se prélasse sur les velux d’un pavillon ; il pourrait briser le verre au moindre mouvement.

Au bout de la rue couverte, il y a le klaxon. Résonnent murmures en bambara accordés aux pas qui n’évitent pas les flaques, le bavardage emporté par le vent se confond dans la nuit.

Les voir tout le temps, un peu comme s’ils faisaient partie du paysage, ce soir, hier ou demain, toujours, tout le temps. Ils sont dehors tout le temps, par tous les temps, tant pis, tant mieux, tant de gens debout, tant de gens dehors, c’est embêtant, un peu, pour qui, pas pour moi, ou peut-être un peu pour les autres, pour nous, mais nous c’est qui ? C’est eux et moi. Ce sont les autres et moi. La peur d’un nous, il faudrait que je leur en parle.

Leila

Partant du front strié de mèches dociles, il descend en ligne droite avec une certaine audace, le triangle nasal bien dessiné, masculin, qui trouble la chair.
En son for intérieur, coquelicots rougissent le ciel où vole le milan, bandit des montagnes qui met de la vitesse dans du vide.

De là où elle se tient, on ne distingue que les bleus, les sourires gonflés, colorés par leurs protège-dents, tandis que bourdonnent les patins à roulettes quads. Elle se tient prête. L’équipe adverse s’avance, les corps féminins se dressent en muraille, forces redoutables qui ne s’autoriseront pas un seul regard vers les tribunes.

Si ça chute ça veut dire douleur. Les corps à la verticale. Si on se penche dans l’autre sens, c’est foutu, c’est mort. C’est la mort. Tomber, se coucher, coucher. Coucher sur papier avant d’oublier, plutôt coucher sur mémo numérique des mots qui n’ont pas de sens. Sens disparait. Ne plus se souvenir. On se goure de mémoire. Le corps est plus précieux. La chute permet d’imprimer des cicatrices sur la peau. Le temps, la vie. Je dois men souvenir. La preuve du temps : l’espace qui traverse le corps.

Lesmes

La voie lactée de son visage pâle, peau fine pliée en angles précis et réguliers, on s’y oriente grâce aux yeux pailletés d’argent, étoiles vivantes.
En son for intérieur, odeur pénétrante et atmosphère de tombeau, la maison où il a grandi, là où le temps s’est arrêté ; s’agitent les jambes de sa femme, sa peau blessée par la lumière fragmentée des stores.

Sortie d’école, les filles contournent les écoliers bruyants avec un snobisme affiché, les nez se relèvent, les regards s’évitent tandis que les premières rougeurs s’affichent, plus prononcées que les briques du bâtiment.

Le rouge, le goût du rouge. Mon pastel. L’élastique de Leide. Sutout, le bocadillo du goûter, mordre à pleines dents dans le pain dur, s’y couper les gencives, même ! La viande salée glisse dans le gosier, la sauce tomate, l’ail et toutes ces bonnes choses dont je me refusais à connaître le nom, le pain trempé, glisse, s’avale, se digère de grandes lampées d’eau fraiches à la fontaine de la place. Elle chouine, elle craint les taches, sa sœur grimace d’avoir les doigts gras. Pourtant je me rassure, elles connaissent comme moi le goût du rouge, peut-être est-ce une illusion, mais je veux y croire. On ne parle pas de ces choses-là. Je pourrais… Non. Je ne vais rien dire où elles vont encore se moquer. Je me persuade seul. Elles mangent sans se regarder. Elles s’oublient. Je sais. Je sais qu’elles auront le goût des souvenirs que l’on partage sans un mot.

A propos de Alice Diaz

Enfant, veut être litote. Adolescente, passe beaucoup de temps derrière les écrans à créer des mondes et des personnages. Participe à des ateliers d'écriture. Expérimente la photographie. Fière membre du Castor Magazine. Educatrice spécialisée en devenir. Tient un blog où elle cherche à faire signe.