Arrivé. Point.

« partout j’allais nulle part » – Novarina

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Sortir de la gare fatigué essoufflé transpirant suant poussiéreux ayant soif et ayant faim ayant envie de pisser laisser à gauche la gare routière contourner les travaux sur la place par la droite continuer dos à la gare pour prendre l’avenue en direction du fleuve et de l’autre côté du fleuve les montagnes austères assombrissent le ciel, traverser la rue, s’arrêter au niveau du passage piéton, le bonhomme est rouge. Deux voitures qui se suivent passent en trombe manquent de renverser un piéton d’écraser un chien faisant un écart oblige la voiture d’en face à piler

Sortir de la gare en suivant le marquage au sol. Les flèches blanches indiquent la sortie tandis que les voyageurs chargés de bagages suivent les flèches bleues en direction des quais d’embarquement. La gare est éventrée, la fin des travaux du plus grand pôle d’échanges intermodal européen est prévu d’ici 2023, tourner à droite contourner les palissades et suivre le couloir de droite pour accéder à la bouche de métro descendre les escaliers ou bien emprunter les escalators situés en face. Tout le monde s’engouffre sous terre passe une barrière de compostage. Pour aller là-bas prendre le premier escalier à gauche – ou l’escalator – pour l’autre destination prendre le deuxième escalier à gauche – ou l’escalator. Sur les murs une fresque décompose le mouvement d’un homme qui marche jusqu’à la réduction de sa silhouette en points et virgules de plus en plus rapides en même temps que disparaît la rame de métro dans le tunnel

La gare n’est plus bien loin à hauteur de la friche, une dernière courbe et le TGV stoppe net devant la butée du quai – ne pas tenter de descendre du train avant l’arrêt complet de ce dernier attention au marchepied etc etc – correspondance pour … voie A quai n° 2 correspondance pour … voie C etc etc – quitter le train avec légèreté remonter le quai d’abord à ciel ouvert puis couvert sur les derniers mètres accélérant ralentissant doublant les grosses valises qui se traînent heurtant parfois une épaule évitant une bousculade déviant devant les portes d’où coule encore un flot continu de voyageurs dont les yeux habitués à la semi-obscurité du wagon clignent à la lumière crue. Pour un peu elle chanterait et danserait d’être là. Au bout du train il n’y a plus de quai, le port un peu plus loin, la mer et, de l’autre côté, un nouveau continent. Le hall de la gare est perpendiculaire aux quais. Deux escaliers majestueux tombent de part et d’autre au sud et au nord. Une verrière filtre la lumière mais pas la chaleur, les palmiers qui sont là ne sont pas dans les gares de la capitale et un piano mal accordé joue des airs qui donneraient presque envie de chanter et de danser. La nef centrale est large, les bas-côtés drainent des voyageurs et leurs bagages des travailleurs et leur mal de dos vers la gare routière où des cars en enfilade attendent l’heure du départ – c’est 10 euros, par carte ou en espèces voici votre reçu qui vaut ticket – comme attendent quoi clodos et femmes harassées enfants dépenaillés sur des bancs en bois sur lesquels personne n’aurait envie ensuite de s’asseoir. Au bout de la nef en verre quand on a au préalable tourné à droite et après les dernières boutiques, une première volée d’escaliers abrités descendent jusqu’à des portes toujours ouvertes à cette heure puis une deuxième volée d’escaliers en pierre glissante les jours de pluie rejoint la rue. A la remontée de ces escaliers on dirait une espèce de pyramide inca avec toutes ces marches à gravir. On croit être arrivé en haut mais non ce n’est qu’une illusion d’optique, de nouveaux paliers que l’on ne voyait pas du bas continuent de grimper. Les muscles dans les jambes durcissent avec l’effort et sous l’effet de la chaleur elles enflent, seul le bout des pieds se pose sur les marches étroites et ce n’est pas tout de monter, il faudra bien en redescendre, cette fois sur les talons, quand plus aucune échelle ne mènera plus haut

A propos de Cécile Marmonnier

Elle s’appelle Sotta, Cécile Sotta. Elle a surtout vécu à Lyon. Elle a été ou aurait voulu être marchande de bonbons, pompier, dame-pipi, archéologue, cantinière, professeure de lettres certifiée. Maintenant elle est mouette et fermière. En vrai elle n’est pas ici elle est là-bas. Elle s’entoure de beaucoup de livres et les transporte avec elle dans un sac. Parfois dans un carton quand il ne pleut pas. Elle n’a pas assez d’oreilles pour les langues étrangères ni de mémoire sur son disque dur. Alors elle écrit. Sur des cahiers sur des carnets sur des bouts de papier en nombre. Et elle anime des ateliers d’écriture pour ne pas oublier de vivre ni d'écrire.

10 commentaires à propos de “Arrivé. Point.”

  1. On n’arrête pas d’arriver dans ce texte qui se déplie en 3 façons, en même temps que la respiration se calme pour devenir plus lente et profonde. De la course haletante du début, le texte fait la part part belle au lieu qui prend corps nous nos yeux, et tant pis pour les ampoules aux pieds !

    • 3 déclinaisons oui qui me sont venues en écrivant. Il me semble qu’on cherche toujours à sortir de la gare quelle qu’elle soit, qui n’est pas une destination en soi si on y réfléchit bien et pourtant c’est suffisant pour rassurer. On pourrait multiplier les arrivées en gare à l’infini. Désolée pour les ampoules !

  2. Flot de la langue et flot des voyageurs. Jamais évoqué, le bruit nous enivre. On descend du train groggy. Ces marches qui montent qui descendent, on débarque dans un monde dessiné par M.C. Escher.

    • les sorties de gare sont parfois labyrinthiques, deviendraient cauchemardesques sous le crayon de M. C. Escher ! Je n’y avais pas pensé. Merci !

  3. De la jungle urbaine et de son speed, on te suit. Les (très ) longues phrases permettent la course de fond.