Attente

Salle d’attente vide, chaises vides, silence brisé par des éclats de voix, une réunion difficile, des avis contradictoires… Elle se reconnaît dans le vide de l’attente, dans la colère qui gronde …. En face d’elle, un distributeur de tickets. Elle se lève, en prend un. Elle se marre, elle est seule, elle a besoin d’un ticket pour ne pas rater son tour ? Elle regarde les portes, couleur brique. — A, B, C, D, souvenir de l’abécédaire de l’enfance, méthode Boscher, elle a appris à lire dans ce livret. – Chaque porte coiffée d’une lampe, laquelle clignotera pour l’appeler ? Elle parie, ce sera la C, non, elle ne peut pas savoir. Le hasard ? Derrière ces portes closes, des gens travaillent, leurs bureaux croulent sous les dossiers. Le sien au-dessus d’une pile branlante. L’archiviste l’a trouvé dans les réserves. Pas encore numérisé. On le lui avait dit au téléphone, le temps de le repérer pouvait être long. On lui a donné rendez-vous, aujourd’hui, ce 8 avril 2021. On va l’appeler, elle va savoir, peut-être, elle ne veut pas savoir. C’est trop tôt. Elle doit se préparer. Elle n’est pas prête, pas vraiment, elle hésite.

Une lampe clignote, porte C, elle a gagné. C’est un signe. Elle ne peut y répondre. Elle chiffonne le ticket, le jette dans la corbeille proche, s’approche de la fenêtre. La petite ville déploie vers la rivière ses places, ses rues. Hier elle s’est perdue dans ses ruelles, derrière les portes closes elle n’a pas retrouvé les traces du passé. Au loin, le cimetière et l’attente des morts, si peu visités, à la Toussaint parfois. Elle se heurte à un mur de silence, silence de ces bureaux, de la ville, des tombeaux. En elle, le silence.

Au-dehors, des cris, des rires d’enfants, 1 2 3 soleil, voix de fillettes qui jouent à la marelle, comme elle, au temps de la méthode Boscher. La vie, si proche, de l’autre côté de la baie. Elle doit se sauver, être du côté de la vie. Elle ne veut pas savoir ce qu’on pourrait lui dire, ou pas. La porte s’ouvrirait, l’accueil serait aimable ou glacial, elle ne trouverait pas ses mots pour s’expliquer, l’autre aurait l’air compatissant ou excédé. Trop de travail, trop de dossiers en retard, peu de temps à lui accorder.

La lampe clignote. Les enfants chantent. Elle devine des trilles d’oiseaux, des merles qui tentent de séduire leurs belles. Les gamins, les oiseaux fêtent le printemps. Elle veut en être, de cette joie du renouveau. A pas feutrés, elle se dirige vers la sortie. Le ciel bleu l’accueille, l’air vif du matin la fouette. Le parfum des lilas l’enchante, il resurgit, tel autrefois, dans le jardin de sa grand-mère, il la réconforte, retour à une vie ancienne, cachée, secrète. Tous les lilas d’autrefois accompagnent sa marche. Elle s’émerveille.

2 commentaires à propos de “Attente”

  1. Au départ, moi aussi, j’étais suspendue au bon vouloir de la lampe rouge qui allait se mettre à clignoter, et moi aussi, en même temps qu’elle, je saurais… et puis, au fur et à mesure du texte, comme elle, j’ai compris que quelque soit le résultat, elle avait choisi la vie. Merci.

  2. sympa votre commentaire et étonnant de voir que l’écriture nous entraine vers là où elle le veut bien. belle soirée.