autobiographies #07 | portes frontales

De bois blanc, une fenêtre que l’on a dû pouvoir ouvrir à sa conception (elle possède une poignée comme un gros bâton de réglisse torsadé) occupe toute la moitié supérieure de la porte. A travers la vitre et la ferronnerie ouvragée, les ombres fantomatiques des arbres naissent dans le brouillard.

Le paillasson marron aux poils drus s’étalait avant la marche et sous la lumière jaune qui chutait de la lanterne. On avait mis un épais rideau, marron aussi, à l’intérieur, pour occulter la semi-transparence et le froid. Il fallait bien relever la poignée pour tourner la clé qu’il ne fallait jamais laisser dans la serrure. C’est devant cette porte, sous l’auvent, qu’ils allaient fumer leur cigarette avant le film du soir.

Blanche, vitrée aussi, à petits carreaux floutés comme vaguelettes, elle n’était jamais fermée. Ou seulement quand les discussions se faisaient adultes, ou quand la dispute montait ses barricades. Assise sur la deuxième marche de l’escalier, on pouvait attendre, percevoir des bribes de phrases ou suivre l’ombre des silhouettes.

A l’autre bout du couloir, la porte jumelle, vers le salon, les canapés moelleux, le sapin de Noël, les tapis molletonnés, la grande table de la salle à manger, la porte-fenêtre entrouverte sur le petit jardin.

Entrouverte sur le petit jardin, à partir de la fin d’après-midi seulement en été, pas avant. Les rideaux relevés par les cordons, comme paupières à demi-closes. Les voix qui s’invitent dans l’air du soir, dans l’obscurité, autour du mobilier en plastique.

Un dessin de Gaston plus grand que nature couvre quasiment toute la surface de la porte blanche. Dans les bulles « Que fais-je ? Où vais-je ? Dans quel état j’erre ? ». Porte interdite. Toujours close.

D’un simple glissement de loquet, passer de chez soi au quartier, suivre les copains qui passent en courant, aller chez la voisine d’en face, aller taper la balle contre la bâtisse du transfo, s’accroupir pour faire pipi derrière les lauriers roses… Le portillon de bois n’existe plus. Le mur clôture fermement tout le fond du jardin désormais. Je ne sais pas pourquoi ce passage a été condamné. Peut-être parce qu’il pouvait être emprunté dans les deux sens.

La porte métallique du transfo (la balle de tennis faisait un bruit d’enfer quand elle rebondissait dessus. On ne pouvait le faire que quelques coups entre deux frappes sur le mur, pour ne pas se faire dégager par les voisins). Hermétique. Danger d’électrocution. Sur le panneau, blanc sur fond noir l’homme était renversé en arrière par un éclair. Pas de détails, pas de visage, de vêtements, dessin stylisé tout en angles. Les deux genoux pliés, un pied au sol, l’autre en suspension, les bras mi-chemin de l’extension. On comprenait le choc et la stupéfaction à la posture (avait-il la bouche ouverte ? Les cheveux hérissés ?) Foudroyé.

Fermée, cadenassée, pourquoi ont-ils même mis une porte là ? Qui peut bien en avoir la clé ? Erigée en lieu et place de la chaîne à gros maillons qu’on prenait pour amarre de bateau, et qu’on passait d’une enjambée ou à quatre pattes pour aller courir sur le double stade et vers les jardins ouvriers.

En bois rugueux, pleine, étroite, la mine un peu vieille, la porte entre le jardin et le garage. Circulation circulaire avec la porte-fenêtre, la porte d’entrée, tout le tour dedans-dehors. Est-ce de là que je tiens mon aversion pour les demi-tours ?

La porte en quoi ? Sorte de bois merisier factice ? Espèce d’aggloméré ? de formica ? Epaisse, à la surface comme veinée mais artificiellement, luisante, vernie ? Le petit œilleton avec pastille en métal coulissante. Toutes les portes identiques, le sol identique dedans-dehors, pierre calcaire mouchetée. Pas d’ascenseur. Troisième étage, porte de droite. On peut vérifier avec le nom sur la sonnette.

Tout en haut de l’escalier (presque dérobé) de pierre aux marches inégales, à gauche porte blanche, simple. A droite, étroite porte vitrée, poignée métallique comme couteau à bout rond, petite marche et le toit de tuiles en pente douce vers la flèche de Sainte-Anne, quatre étages au-dessus de la rue des Sœurs Noires.

Double porte massive, véritable bois, motifs en relief, immeuble bourgeois, « Sonnez et entrez » à côté d’un petit bouton de laiton poli cerclé de son aréole. Sur la plaque : Dr Michel Barthélémi, psychiatre diplômé de la faculté de médecine de Montpellier.

Porte blanche en PVC sans doute, grande vitre centrale. Close. Visages hagards à travers.

Passer les boîtes aux lettres, sonner de nouveau, attendre le déclic de la clenche, pousser la partie vitrée centrale, encadrée de métal vert jardin, comme on entre dans une serre botanique, entamer l’ascension de l’escalier de pierre, accroché à la fine rampe en fer forgé.

Porte simple, opaque, je ne m’en souviens pas vraiment. Elle donne sur la rue d’un côté, sur une sorte de cours de l’autre, où plusieurs portes en rez-de-jardin dont une vitrée à carreaux. De là viennent les notes de piano.

A propos de Helene Gosselin

Un peu de sociologie de l'imaginaire, quelques années de journalisme à Montpellier. Mise au vert en Lozère. Venue ici par un heureux concours de circonstances. M'y accroche. Dévide, fouille, cherche sous les doigts.

2 commentaires à propos de “autobiographies #07 | portes frontales”

    • Oui, je suis toujours surprise des lieux où m’emmènent ces consignes. C’est à ces endroits-là que je me rends compte de la matière à écrire. Merci