autobiographies #12 | dans ce désordre

odeurs dans la chambre tout de suite à pousser la porte, odeurs de vieux corps, taches de sang sur la moquette / chambre dite chambre bleue à cause de la tapisserie à rayures dans un camaïeu de bleus (Marie aimait le bleu, tout le monde était au courant) / sur le mur photo encadrée grand format avec jeune homme en habit militaire et puis quelques autres à côté plus petites accrochées en série avec personnages / dépouillée, mobilier pauvre : lit table de chevet armoire à glace, l’ensemble des années soixante, et aussi deux chaises dont l’une recouverte d’un tissu à poils jaunes / environ 12 mètres carrés / juste des volets pas de rideaux / fixée au-dessus du lit une petite lampe en verre poli avec une poire pour l’allumer / étagères de l’armoire remplies à déborder de petit linge / s’intéresser à la tablette en bois dans l’angle de la pièce avec deux niveaux et pas mal de bazar / niveau du bas moins chargé que celui du haut : coupon de tissu sombre, boîte d’épingles, paire de bas en bouchon, quelques magazines à moins que ce ne soient des patrons de robe et de corsage / haut plus encombré car plus accessible (Marie n’aimait pas perdre du temps à ranger, et puis elle s’y retrouvait très bien comme ça) / plusieurs boîtes, l’une tenant dans le creux de la main en laiton pour les médicaments, une autre pour les bijoux mais pas grand-chose dedans (elle ne mettait guère que sa médaille de baptême pendue à une chaîne en or), la plus volumineuse à couture (sur le côté un bouton métallique à tirer pour déployer la moitié de la boîte et avoir accès à son contenu), trois tiroirs de chaque côté / bien ordonné au début sans doute, accessoires vite mélangés car souvent déposés à la hâte dans le mauvais compartiment / parmi les bobines de fil de différentes couleurs, certaines identifiables parce que se rapprochant de la teinte dominante d’un de ses derniers chantiers  / chutes de gros grain noir et gris, morceaux d’élastique un peu raide, collection de pelotes de coton à plusieurs fils, ruban en satin bien enroulé d’un coloris inhabituel dans les verts pastel, pressions et agrafes de soutien-gorge, différentes paires de ciseaux dont l’une pour le canevas et la broderie, boutons à deux ou quatre trous, anneaux métalliques (projet de rideaux ?), bouts de dentelle (elle en ornait ses cols de chemisier), mètre ruban de couleur jaune en vrac posé à côté d’une deuxième pelote en velours rouge avec épingles, bout de tissu avec aiguillées emmêlées, dé en métal perdu au milieu des bobines, aiguille à chapeau / son dernier ouvrage en cours est posé sur la boîte, une jupe toute simple en lainage, je vois les faufilages, je me demande Marie, à quel moment de ta longue vie tu as posé ton corps dans un fauteuil improvisé pour ne rien faire / juste croiser tes doigts fatigués / juste respirer

Codicille 
toujours tenter de rester dans le même sillon, comme un acte supplémentaire aux textes d'avant, même si là un nouveau personnage, du moins un prénom Marie qui pourrait faire penser qu'il s'agit d'un autre personnage

A propos de Françoise Renaud

Parcours entre géologie et littérature, entre Bretagne et Languedoc. Certains mots lui font dresser les oreilles : peau, rébellion, atlantique (parce qu’il faut bien choisir). Romans récits nouvelles poésie publiés depuis 1997. Vit en sud Cévennes. Et voilà. Son site, ses publications, photographies, journal : francoiserenaud.com.

2 commentaires à propos de “autobiographies #12 | dans ce désordre”

  1. Marie en pointillés. Lancinant, mouvement perpétuel des touches de couleurs qui s’assemblent sous nos yeux.

    • Premier commentaire et il vient de ta part, cher JLuc…
      et je suis un peu troublée, en fait c’est très intime cette exploration d’un désordre qui sera mis au rebut à un moment ou à un autre… et on ne peut s’empêcher de penser que ce sera celui de notre tante, de notre mère…
      j’ai eu le sentiment de reconstituer une palette…
      merci pour ton soulignement des couleurs