autobiographies #09 | le chemin du matin

Elle quitta son appartement encore plongé dans l’obscurité maninale pour s’engoufrer dans l’escalier abscons. Seule une lumière crue, empêchait de dégringoler, de tomber aspiré dans ce puits sans fond. Mais elle connaissait cet escalier par coeur, la plante des orteils, connaissant l’angle exact de chaque marche, de chaque virage. Son pied effleurait le sol, volait d’une marche à l’autre, évitant le paillason usé du cinquième, contournant la plante grasse du troisième, s’appuyant avec grâce pour prendre la courbe. Elle s’envolait, le pied léger, une main sur la rambarde, dans l’odeur du café flottant en guise de réveil-matin. Elle prenait le sien à la librairie, hors de question de perdre une minute de son lit. Il était recouvert de livres, les offices et nouveautés et elle aimait commencer sa journée en lisant. Alors qu’elle avait encore du mal à distinguer les lignes noires sur le fond blanc. Puis peu à peu, sa vue s’éclaircissait, son corps se reveillait et elle pouvait commencer la journée. Elle ramenait justement une bonne dizaine de livres à la librairie ce lundi, ils pesaient dans le sac qu’elle portait sur le dos. Le bas de l’escalier était dans l’obscurité la plus totale, dans l’attente que le concierge viennent avec son immense échelle remplacer l’ampoule, elle faisait confiance à ses mains, qui suivaient le mur, sous la longue rangée de boîtes à lettres bringuebalantes. Au sol, une mosaïque de carreaux qui, il y a longtemps, avaient été noirs et blancs et la porte de bois. En l’ouvrant avec effort, elle laissa entrer un souffle d’air qui s’engouffra à l’intérieur en faisant le chemin inverse au sien, remontant les étages un à uns, s’aménuisant jusqu’à sa disparition quelque part entre le troisième et le quatrième palier. L’appel d’air l’aspira vers l’extérieur, elle enjamba le seuil et continua de longer le mur de l’édifice même une fois dehors. C’était une rue pavée, si étroite que n’y passaient que des piétons. Un boyau tortueux, où l’on n’entrait pas par hasard. Si un touriste s’y aventurait, c’est qu’il courrait apres celui qui lui avait fait les poches. Mais l’entrée dans la rue le faisait rapidement renoncer à la poursuite. Les visages collés aux murs effrayaient les plus courageux. A l’angle avec le passage de la Victoria, le bar las Tres puertas, propice à faire disparaitre ceux qui y entraient. Si on s’y risquait, peu de chance qu’on en sorte indemne et jamais par la même porte. Ils n’étaient pas nombreux ce matin, à avoir tenu la nuit. Ils buvaient toujours, chancelant, d’un mur à l’autre, une cannette à la main, le verbe encore haut résonnant dans la petite rue. Huevo, la face oblongue aussi blême que sa voix était aigue, Paco, un latino au visage strié de cicatrices, Mona, aux multiples jupes, affalée sur le seuil d’une des portes en quête d’un peu d’intérêt de Bob l’italien, les yeux cachés par ses lunettes de soleil de jour comme de nuit, été comme hiver. Cette cour des miracles, c’est un peu comme dans un roman, s’excusait-elle aupres de ceux qui la visitait depuis les beaux quartiers. Ils ne comprenaient ce qu’elle fichait là apres toutes ces années, tout comme ils ne comprenanient pas qu’elle passe son dimanche le nez dans ses livres. Après le Tres Puertas, Maria tourna en saluant, elle était du quartier, elle faisait partie des meubles, personne n’aurait osé s’en prendre à elle et c’est ce qui lui plaisait de ce quartier. Se sentir en sécurité dans l’une des rues les plus dangereuses de Barcelone, tout simplement parce qu’elle y vivait et qu’elle en connaissait les visages comme ils connaissaient le sien. Elle quitta la ruelle pavée pour une avenue plus grande où elle garait son vélo. Les commercants ouvraient leur échoppe déroulant le rideaux métallique à grand bruit, les maraîchers déchargeaient les cageots de tomates et les bottes de menthe sur le trottoir, un piéton la doubla sifflotant dans l’air frais du matin; une concierge lavait son entrée à l’aide de grands seaux d’eau, la sonnerie stridente d’un camion poubelle qui reculait. Le ciel était déjà bleu malgré le froid et la criculation plutôt calme sur la place Urquinaona que Maria traversa en quelques coups de pédales. A l’angle du Passeig de Gracia, elle évita la voie des bus, préferant monter sur le trottoir sous le regard courroucé des piétons, que de repirer les pots d’eçhappement de ces gros lézarts desarticulés, dont la queue se balancait d’un côté et de l’autre sans se soucier de ce qu’ils égratignaient. Ici, à peine quelques centaines de mètres de chez elle, le monde avait changé, la bouche de métro vomissait son lot de travailleurs provinciaux sur les pavés gravés de la plus belle rue de la ville. Les employés emitouflés dans leur sommeil arrivaient au bureau, gravissaient les étages, ouvraient les serrures, défaisaient les noeuds de la nuit, allumaient les machines. Tout allait vite, les larges trottoirs, les bancs lampadaires art-déco, adorés des touristes, les maisons d’architectes, les terrasses de cafés, les boutiques de luxes y avaient leur enseigne. Et au-milieu de tout ca, une petite librairie familiale, plantée là depuis les années quarante, unique témoin d’une autre époque. Apres avoir attaché son vélo devant la librairie, elle aussi, souleva le rideau métallique, lanca un seau d’eau devant sa porte et fit ronfler la cafetière dans l’arrière-pièce avant de s’attaquer au désordre du samedi.

A propos de Irène Garmendia

Lectrice par amour des mots et des histoires. Voyageuse immobile, perdue entre plusieurs langues, a récemment découvert le jeu d'écrire.