autobiographies #06 | Grimaldi Lines

Baleine blanche luisant aux dernières lueurs du soleil couchant qui déjà sombre derrière la courbure de l’horizon, le Cruise Roma glisse sur une mer d’huile suivi d’une traine nonchalante aux volutes gracieuses recrachée par une haute cheminée bleu nuit – qui bientôt se perdra dans les étoiles -, grand triangle posé sur le pont arrière arborant un G immense et fier à l’adresse d’un monde marin indifférent à ce monstre d’acier qui quelques heures plus tôt avalait goulument des centaines de véhicules dans un bruit infernal où chocs de ferraille, moteurs en surrégime, pneus crissant sur les glissières, portes qui claquent s’entremêlaient aux cris des matelots à l’adresse des touristes écervelés qui colonisaient les pontons, couloirs, coursives et s’échouaient dans les grandes salles aux fauteuils alignés par rang serrés face à un écran de télévision qui veillerait sur leurs âmes assoupies jusqu’aux premières lueurs de l’aube ; mais avant cela, avant la nuit, pour certains à tour de rôle pour ne pas céder les places conquises dans la précipitation : le dîner – selon les bourses, à la carte, sur plateau, ou debout,  les coudes sur la rambarde face à la mer, l’écume visqueuse salant les sandwichs – et maintenant seulement après cette longue journée de préparatifs, de voyage sur les autoroutes chauffées à blanc par le soleil d’été, se glisser sous les draps, dans les duvets, dans un lit ou à même le sol, calmer les enfants surexcités et s’abîmer dans le sommeil – le navire voguant paisible sous la voute étoilée dans un long plan-séquence – et après l’éclipse, l’étonnement quotidien : ouvrir les yeux sur l’horizon rose et bleu ; puis s’ébrouer à l’aide d’un caffè ristretto et manger sans appétit une pâtisserie crémeuse et douceâtre tandis que les fêtards, les yeux rougis, s’étirent, douloureux, après un mauvais sommeil sur les banquettes du bar ouvert sur le ponton supérieur – la ferveur de la veille dissoute dans une sourde céphalée -, pendant que les familles quittent leur cabine à couchettes superposées, fraîchement douchées et selon les cas, pimpantes ou blafardes  après une nuit de roulis et alors, enfin, se laisser progressivement gagner par un  sentiment de plénitude ce premier jour de vacances avant que chacun ne s’égaille, indifférent aux autres, sur l’île désirée depuis des semaines.

A propos de Xavier Waechter

"L'écriture amène à faire le tour des choses" (Jacques Serena)