autobiographies #07 | catalogue de portes à prendre

Il y a quelques années, je me suis fait licencier par mon employeur. C’était la première fois et, à ce jour, ce fut la dernière. Même si on ne me l’a pas formulé en ces termes, on m’a demandé de prendre la porte. Je me suis alors demandé quelle genre de porte on pouvait prendre en quittant un endroit. Alors oui, je l’avoue, je ne suis pas allé chercher ces portes dans ma mémoire mais plutôt dans mon imagination. Dans la mémoire de mon imagination ? Est-ce que ça pourrait passer en ces termes pour répondre à la consigne de cette proposition ?

Porte plumes [pɔʁt plym]. Un soupir suffit pour l’entrebâiller. Pratique pour voir ce qu’il y a derrière sans faire de bruit, sans craindre le grincement de charnières mal huilées. Par contre, si sa légèreté est un atout indéniable, elle demeure très difficile à porter tant elle est fragile. Celle que je vois est blanche et soyeuse. Ce qui est ridicule car il n’y aucune raison que n’existent des portes plumes de paon ou de perroquet tropical. 

Porte conteneurs [pɔʁt kɔntɛnœːʁ]. A l’inverse de la précédente, celle-ci est impossible à transporter à cause de son poids. Sauf sur l’eau. Prendre cette porte, c’est s’assurer de ne pas laisser grand chose derrière soi quand on part. Vous pouvez même emporter une maison. Et vous pouvez aller loin, dans tous les ports du monde.

Porte manteau [pɔʁt mɑ̃to]. Sans conteste, la porte la plus pratique pour ceux qui ont l’habitude de la prendre. Il suffit de l’enfiler pour l’emporter. Veillez néanmoins à vous faire licencier en dehors des grosses chaleurs estivales et sous des latitudes tempérées. Préférez le mohair, le cachemire ou l’alpaga, la qualité de cette porte vous suivra longtemps. 

Porte à portes [pɔʁt a pɔʁt]. Recommandé pour un usage particulier. En effet, cette porte est composées d’une multitude de petites portes (six, douze ou vingt-quatre) ce qui permet d’en ouvrir une en laissant les autres fermées. Pratique pour les personnes qui ont plusieurs emplois, elle permet de prendre une porte et une seule. Ou plusieurs en même temps si vous avez décidé de changer de vie.

Porte bouteilles [pɔʁt butɛj]. Pour les alcooliques, les cyclistes et les personnes souffrant de déshydratation chronique. Ou en complément des personnes utilisant un(e) porte manteau et vivant dans un pays chaud. De plus, cette porte vous assure une vie sociale riche, personne ne refusant un petit coup à boire par les temps qui courent.

Porte à faux [pɔʁt a fo]. Pour les équilibristes ou, plus rarement, pour les enquêteurs de la police judiciaire (pour lequel on préférera le modèle porte à faux et usage de faux [pɔʁt a fo e yzaʒ də fo]). D’un usage délicat, s’ouvrant sur des équilibres instables et des idées qui s’appliquent mal à la situation mais très utile pour mettre à jour l’éclatante vérité.

Porte parole [pɔʁt paʁɔl]. Pratique, ce n’est que du vent. Même si ceux qui l’ont d’honneur peuvent la trouver difficile à tenir. Son inconvénient majeur demeure à ce qu’elle ouvre sur la parole des autres, qui n’est pas forcément la vôtre. Cela nécessite une grande confiance, à l’image de celle (celui) du gouvernement.

Porte voix [pɔʁt vwa]. Peut être confondu(e) avec le (la) précédent(e). Les mal entendants y trouvent assez de décibels pour qu’elle s’ouvre sans difficulté. Les syndicalistes se font entendre pour l’annonce de revendications et ainsi éviter de trouver porte close. Pratique, les parents peuvent aussi appeler leurs enfants à table.

Porte feuille [pɔʁt fœj]. Pouvant tenir dans la poche intérieure d’une veste, son atout majeur est de pouvoir avoir ses papiers sur soi. En tout temps et en tout lieu, pourvu qu’on ait une veste. Ou un pantalon avec une poche arrière. Malheureusement, les pickpockets ont tôt fait de vous claquer la porte au nez de vos illusions.

Porte bonheur [pɔʁt bɔnœʁ]. Sans aucun doute, il s’agit de la porte du paradis. Prendre cette porte pour licenciement vous réserve les meilleurs augures. Mais sans croire en cette destination céleste, le meilleur vous est réservé pour peu que vous ayez en poche un trèfle à quatre feuilles, un fer à cheval, un nazar boncuk, quelques écailles de carpe ou plus simplement un ou deux glands.

Porte clefs [pɔʁt kle]. La porte pour ouvrir toutes les autres, essentiellement celles qui sont fermées. Cette porte peut vous faire passer pour un subalterne, un individu de moindre importance mais cela demeure sans conséquences. Pour vous enfuir loin de tout, préférez le modèle optionnel porte clefs des champs [pɔʁt kle de ʃɑ̃].

Porte drapeau [pɔʁt dʁapo]. Pour les militaires et tout ceux qui sont animés par la fibre patriotique. Sachez que si la situation tourne mal, vous serez le dernier à rester debout et que, quoi qu’il advienne, il y aura toujours un volontaire pour reprendre l’étendard. Difficile à maîtriser en cas de fort vent.

Porte avions [pɔʁt avjɔ̃]. Ne vous embarrassez pas de palabres inutiles et filez comme le vent vers de nouvelles aventures. Vous pouvez même envisager de franchir le mur du son. La porte demeure un peu lourde et difficile à manier. Soyez sûr de votre choix si vous décidez de l’ouvrir.

Pour ma défense, j’ai déjà exploré les portes de ma mémoire il y a quelques années dans un précédent exercice d’écriture. J’aurais pu approfondir ces premières portes mais j’ai choisi d’aller en explorer d’autres. Dans mon imaginaire.

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

5 commentaires à propos de “autobiographies #07 | catalogue de portes à prendre”

  1. … si la porte se porte, s’ouvre, ou se ferme… Une jolie façon de partir en portes. avec une tendresse particulière pour Portes à faux et porte à portes

    • Merci Nathalie. J’aime beaucoup la (le) porte à portes moi aussi… L’exercice de la dérive des sens est un trésor pour l’imaginaire.