autobiographies #09 | chemins de traverse

De cette maternité toulonnaise dont je n’ai aucun souvenir, je traverse. De ces multiples maisons d’enfance, déménagées et emménagées, brinquebalée, je traverse. De ce territoire palestinien où à chaque aube, chante et m’émeut le muezzin, je traverse. De Londres avant le Brexit, je traverse. De ce premier appartement parisien de la rue Paul Bert, avec sa petite cuisine, sa petite salle de bains et son balconnet, en vis à vis, mais ensoleillé, je traverse. De ces chambres de bonnes de l’avenue Marceau aux vieilles tommettes rouges d’où j’aperçois la Tour Eiffel, je traverse. De cette laverie où j’aimais à regarder tourner le linge à travers le hublot embué, je traverse. De ces écoles de théâtres, illustres ou inconnues, du 18ème, 2ème, 20ème arrondissement et j’en oublie, je traverse. De cette cordonnerie, haute de plafond, aux murs d’un rouge violet, sol sombre et petite chaise pour s’asseoir à l’écoute de la machine contre les semelles à rafistoler tenue par Alexis, argentin au grand coeur, je traverse. De ce couloir de métro à Franklin Roosevelt dans lequel tu m’as, pour la première fois, embrassé, je traverse. De cette clinique au couloir gris de ciel avant la pluie, où l’amie chanteuse est partie, je traverse. De ce cabinet médical qui fait grincer les bouches et les dents, je traverse. De cet appartement si chaleureux, le soir venu sous les réverbères de l’avenue, je traverse. De cette école d’écriture, où j’ai fait mes premières ratures, rue Dante, Paris 5ème, toute en portes vitrées, je traverse. De ce restaurant italien dans une petite rue adjacente au boulevard Saint Germain et aux ravioles fondantes, je traverse. De ce périphérique qui emmène à l’autre bout du monde, je traverse. De ces banlieues, soi-disant, malfamées, déformées par les journaux télévisés, je traverse. De ces quartiers en réhabilitation urbaine, au passé déconstruit et au futur pas encore visible, je traverse. De ces villes nouvelles, sans centres villes, ni cafés et où on ne peut pas marcher, je traverse. De ce vieil escalier de l’immeuble des année 60 qui résonne sous chaque pas, je traverse. De ce balcon vert pomme, donnant vue sur le parking, je traverse. De cette chambre blanche aux penderies sans portes et à la poussière sous le lit, je traverse. De ces chambres d’enfants aux jouets pas rangés, aux posters aux murs, aux sens interdits, aux portes sur lesquelles il faut frapper, de ces chambres d’enfants qu’ils sont en train de quitter, je traverse. De ce vieil escalier de l’immeuble des années 60 qui résonne à chaque pas, je traverse. De ce sentier de la forêt de Fontainebleau fait de feuilles d’automne aux couleurs orangées, je traverse. De cette cabane de jardin, Parcelle 53, dans l’enclos des potagers partagés, je traverse. De cet autoroute A19 qui ne passe plus par Orleans, je traverse. De ce virage dangereux, surgissant d’un coup sur la droite, et qu’immanquablement, vous pouvez rater, je traverse. De cette allée dans un bois privé, menant à une maison de 1400 m2, une maison, que dis-je, une demeure de maitre sans maitresse, isolée, presqu’abandonnée, je traverse. De ce salon, en bois et en livres, où les peintures et les mots occupent le temps qui s’écoule, je traverse. De ces petites routes de campagne et ses champs agricoles, voyageant jusqu’au nord de la France, je traverse. De cette gare d’Hesdin dans laquelle plus aucun train ne passe, je traverse. De ces plages normandes, flux et reflux des marées, galets ou sables fins, nuages, vent et soleil à la fois, où j’aime à marcher, je traverse. De ces plages de Madras, où les pêcheurs, ne sachant pas nager, vont se perdre, embarqués dans les vagues tumultueuses du golfe du Bengale en Inde, je traverse. 

A propos de Clarence Massiani

J'entre au théâtre dès l'adolescence afin de me donner la parole et dire celle des autres. Je m'aventure au cinéma et à la télévision puis explore l'art de la narration et du collectage de la parole- Depuis 25 ans, je donne corps et voix à tous ces mots à travers des performances, spectacles et écritures littéraires. Publie dans la revue Nectart N°11 en juin 2020 : "l'art de collecter la parole et de rendre visible les invisibles" voir : Cairn, Nectart et son site clarencemassiani.com.

4 commentaires à propos de “autobiographies #09 | chemins de traverse”

  1. Lire ton texte et j’ai envie d’écrire. Un peu empêtrée dans la proposition me voilà libérée, merci

    Un parcours, précisément décrit avec tant d’évidence dans cette circulation impossible et pourtant…
    Cela me donne envie de filmer le court métrage « Elle traverse ».
    L’actrice au même âge, dans le même costume, la même humeur, le même jour; comme un long plan séquence du point de vue du personnage; et beaucoup de montages pour les lieux. Mélange de réel et de fantastique, de conte et d’ordinaire. A suivre….

    Oui, le 6 nov j’allais voir des amis « Le collectif la bohème »; ils se produisaient à Maison dans la Vallée à Avon alors dans l’après-midi je suis allée faire un tour à Fontainebleau, visiter son fameux château et c’était beau.

    Au plaisir de se rencontrer en vrai !! Bon travail Clarence.

    • Coucou Cécile,

      Merci pour tes mots et quand tu veux pour créer un court métrage « Elle traverse  » !

      Je te tiens au courant quand je viens sur Paris.

      A très bientôt et belle soirée à toi.

  2. Tout à fait de l’avis de Cécile. Ton texte donne envie d’écrire ! C’est la structure avec la répétition de « je traverse » qui s’est imposée en premier lieu ?

  3. Merci Héléna, c’est trop gentil !

    Oui la structure de la répétition « je traverse » est la première chose qui m’est venue, puis l’idée de reprendre des lieux déjà décrits et en ajouter d’autres, et le titre a suivi.

    Belle écriture à toi, bises.