autobiographies #13 I Quelle femme ?

Oui, c’est comme ça. Faut que mes mains s’agitent. Tu parles et voilà mes mains qui s’agitent, j’aimerais les mettre au calme, au vert, ou quelque chose comme ça, mais ces idiotes restent suspendues à mes bras, pas moyen de s’en défaire, je ne les commande pas, toi, tu parles, tu donnes ton éternelle leçon, la télévision ronronne au creux du salon, les mômes rigolent et font des roulades et moi les mains, juste les mains, les mains qui courent, qui cherchent l’éponge, qui décrochent le torchon, les mains, mes mains à moi, incontrôlables, même assise, à t’écouter voir, là, assenant ta sempiternelle et vindicative leçon, j’ai les mains qui s’agitent, qui tirent un fil, un tout petit fil de ma jupe, attrapent une miette, une toute petite miette enfouie dans les poils du tapis, et si pas suffisant, vont chercher l’aspirateur, car les mains commandent les jambes et moi rien, et puis les mains désorientées agrippent le tricot, voilà qu’elles cliquettent clic clic clic, les aiguilles au bout des mains s’agitent, Tu m’écoutes ou tu tricotes ? J’aimerais que tu m’écoutes clic clic clic elles tricotent les mains, les jambes au repos à présent, car les mains dirigent les jambes qui soudain s’élancent, foncent à la cuisine, soulèvent le couvercle des pommes de terre, reviennent dans le bruit de la leçon de la télévision et des rires fuselés au creux des roulades, et les mains reprennent le tricot, les jambes au repos et la tête tout à fait vide, tu m’écoutes ? oui oui, mais regarde comme mes mains s’agitent tu entends ce qu’elles disent tu entends ? Tu m’écoutes pourquoi tu ne regardes pas le film ? je le regarde, mais non je vois bien que tu ne le regardes pas tu tricotes, mais oui mes mains tricotent, les yeux accrochés sur ma tête vide, ce sont mes mains qui commandent, qui ne tiennent pas en place ma tête si creuse, une vraie cougourde tandis que les mains, les mains, les mains s’énervent, tirent trop sur le fil et le cassent, les mains, oh les mains comme elles s’agitent tu vois bien comme elles s’agitent et je crois que même morte, elles s’agiteront encore, au fond de la boîte elles tireront les fils du bois, joueront au morse ou je ne sais quoi, jamais en paix, ça non, elles n’y seront jamais, en paix, elles ne tiennent déjà pas dans les poches, un peu dedans, aussitôt dehors, à tâter les meubles, les fenêtres, les livres, à toucher tous les objets, tous, et même au magasin madame s’il vous plaît on ne touche pas les articles si l’on n’achète pas, oui bien sûr mais mes mains s’agitent, elles touchent à tout, oh mes mains, mes mains… parfois pour les faire tenir tranquille, je m’assois dessus, sous le chaud des fesses, elles s’apaisent un moment et aussitôt se dégagent, tièdes et coureuses elles recommencent leur interminable danse, le tricot se rate, s’emmêle, se troue, sans patience elles le lâchent, empoignent un crayon et tandis que tu pérores, ou la radio, la télévision, ces mains qui ne peuvent pas écouter (et ce n’est pas une question d’oreille) dessinent des croix, des cœurs, des fleurs, des tubes, des tortillons, des lignes parallèles et perpendiculaires, tout un grouillant petit monde. Sous la tête qui est vide règnent en maître les mains, et les mains commandent aux jambes quand elles fatiguent alors les jambes marchent en long et en travers, d’assez près à assez loin, tu m’écoutes ? oui je t’entends, les jambes sortent et remontent la rue puis la redescendent, les jambes tournent autour de la place et se mettent à courir les jambes font le tour de la ville et quand elles seront fatiguées, où descendrai-je ? Dis-moi donc, où descendrai-je ? 

A propos de Catherine Plée

Je sais pas qui suis-je ? Quelqu'un quelque part, je crois, qui veut écrire depuis bien longtemps, écrit régulièrement depuis dix ans, beaucoup plus sérieusement depuis trois ans avec la découverte de Tierslivre et est bien contente de retrouver la bande des dingues du clavier...

12 commentaires à propos de “autobiographies #13 I Quelle femme ?”

    • he bien oui, j’y pense mais suis pas sure de pouvoir faire durer tant que ça! Merci de votre lecture

    • Merci d’être passée là, Brigitte… Oui ça peut libérer, tout dépend de l’usage qu’on en fait !

  1. Cette habitude détestable des humains de toujours vouloir placer le cerveau dans la tête ! Alors que tu le prouves si bien : le cerveau est dans les mains !
    Merci pour elles !

    • les mains et ailleurs dans le corps, toujours le corps et envie de poursuivre un peu ce truc même si au delà de l’idée même, ce n’est pas aisé… Merci Juliette de cette lecture encourageant