autobiographies #13 | J’attendrai

« J’attendrai. J’attendrai toujours, ton retour ». J’aime bien cette chanson de Rina Ketty. Radio Bleue la diffuse encore parfois, le dimanche. C’est le jour des dédicaces. J’attendrai Roger ou P’tit Louis Maurice. J’attendrai peut-être leur retour. Je m’amusais bien avec ces deux là, beaucoup plus qu’avec Kleber, qui était beaucoup trop vieux, et que j’ai épousé avec « sa bite et son couteau ». Je me faisais belle pour Roger ou P’tit Louis Maurice, lorsque je prenais la DS pour aller faire un tour à Brou, quand je pouvais m’échapper du village. C’est que j’ai bien été obligée de me marier avec Kleber, j’étais enceinte. « C’est un bon gars », disait ma mère. Il a bien fallu que je me marie. Heureusement qu’il y avait Roger ou P’tit Louis Maurice pour s’amuser de temps en temps. On rigolait pas beaucoup à Montigny. On ne rigole toujours pas beaucoup. Il n’y a plus rien au village. Plus d’épicerie, plus de boucherie, plus de café. Heureusement qu’il y a le club pour rencontrer les gens du village. On joue au scrabble, à la belote, à la manille, au 4.21 ou au triomino. Et puis il y a le petit goûter des anniversaires. C’est bien, ça change de l’ordinaire. On ne s’amuse plus beaucoup au village maintenant. Les occasions manquent, on s’ennuie. Heureusement qu’il y a Radio Bleue et mes mots fléchés. J’aime bien lire aussi, mais avec ma vue… Quand je pense à Rina Ketty, quand je pense à mes jeunes années, gâchées. Heureusement, j’ai pu marier toutes mes filles, enfin presque. Il y a juste Nathalie à qui on n’a pas passé la bague au doigt. Heureusement qu’elle n’a pas d’enfant, ce serait gênant sinon. Elles me font un peu la pige, mes filles, mais jamais elles ne cuisineront aussi bien que moi. Elles ont des enfants, ça me vieillit un peu. Enfin, ça me vieillit franchement. J’espère que je ne serai pas arrière-grand-mère, je suis trop jeune pour ça. C’est vrai, j’ai 80 ans. Je suis trop jeune pour être arrière-grand-mère. Allez faire des gosses, tiens ! Des fois, j’ai les nerfs en pelote. Je me demande ce qui me fait ça. Je ne sais pas comment ça me vient, mais des fois, j’ai mes nerfs. Surtout depuis que Paul est mort. Ça a été difficile à la mort de Paul. Je ne pensais pas qu’il allait mourir avant moi. On ne perd pas son enfant avant soi. C’était mon fils unique. J’ai jamais réussi à le caser, celui-là. Il m’a pas rendu la vie facile. Mais je m’ennuie encore plus depuis qu’il n’est plus là. Je n’ai plus de raison de vivre. Je ne sais pas ce que je fais là. Il me manque un but, il me manque des buts. Ça a été difficile quand on l’a enterré. Depuis, j’ai encore plus mes nerfs. Il y a bien les médicaments, mais ça ne suffit pas toujours. Heureusement, il y a Radio Bleue. Ils passent de la chanson française. Celle de toutes les époques. J’aime bien Rina Ketty. J’attendrai toujours son retour, à celui-là, à celui qui n’est plus là.

A propos de Elise Dellas

Court toujours. Ou presque... La retrouver sur son compte Instagram.

2 commentaires à propos de “autobiographies #13 | J’attendrai”