autobiographies #15 | énigme des serrures et des targettes

Bon sang ! Tout ce bordel qu’il a gardé au sous-sol entre ces murs et ces portes cadenassées… D’où lui est venue cette manie d’empêcher l’accès. Tu sais, toi ? Il a toujours aimé les clés, les serrures, les targettes… les vieilles clés surtout pour leur solidité et leur élégance. Il en achetait même dans les brocantes. Il avait toujours de l’anti-rouille à portée de main, des pipettes et des petits flacons d’huile de graissage. Il les alignait dans des placards métalliques ou des litanies d’étagères en bois ,obsessionnellement rangés. Même sur la table de la salle à manger il rangeait avec la pulpe des doigts les miettes de pain, et il parlait, il parlait … puis les bouts de cigarillos éteints, Il déplacait les verres et les bouteilles en cherchant ses mots, les assenant comme un savant sûr de sa science et de son expérience. Les mômes riaient sous cape, complices de la subversion maternelle au sourire discret, il ne les voyaient plus, il les instruisait. Ses discours pouvaient être interminables, ses silences aussi en contraste, surtout à la fin de sa vie. Un homme contemplatif et actif alternativement, comme partagé entre ces deux extrêmes, très fier d’avoir fait des études dans un lycée agricole pendant la guerre pour pouvoir mieux manger. Orphelin de mère dès 38, des frangins dispersés par un père représentant en dessous féminins dans toute la France, puis assigné à résidence au milieu de vignobles par la ligne de démarcation. La catastrophe.Changement de vie. La maison du Mont Joli est devenue un mausolée du malheur. Les portes de la partie inférieure de la maison en rez-de-jardin, à l’opposé du cuvage ont été condamnées. Les pièces vidées à l’exception du piano noir.

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.