autobiographies #03 | la sève, le sang, l’encre et l’abricotier

De sève, de sang ou d’encre – le fait est que c’est la vie qui pulse sous l’écorce et la peau et la main ; le sang des corps et l’encre des mots les connaissent ces humeurs cycliques, ces prometteuses sorties d’hibernation, ces éveils enthousiastes, leur vigueur printanière sapée par des couloirs de froid, des courants gentiment somnifères annonçant la condamnation… mais l’abricotier laisse filer à la face du soleil son goutte à goutte ambré, il l’arbore comme des pépites d’or ; l’hémorragie est tiède et poisseuse comme le sang des corps, l’entaille se cache sous l’aisselle de ses branches, elle est la faille dans l’écorce, la gomme est lâche, elle suce la sève, la gommose est cancer, l’hémorragie laissera l’abricotier exsangue, il mourra lentement… et l’on sait que, l’un après l’autre, les printemps l’auront épuisé, l’auront privé de la chair moelleuse rougissant du velouté de ses fruits, et l’on voudrait qu’une fois toutes ses feuilles tombées il reste à l’abricotier la force de passer l’hiver, et l’on voudrait lui dire ce qu’il n’a pas vu s’infiltrer, et l’on voudrait lui dire qu’il s’épargne, demain a tôt fait d’être hier, et l’on voudrait, comme le platane au plus dur de l’hiver, l’on voudrait qu’il ait la force de dresser de gros moignons de poings vers le ciel pour crier sa colère et demander pourquoi, et l’on voudrait qu’il cesse de croire à la miséricorde et qu’il se batte sans les dieux.

A propos de Christiane Mansaud

Besoin de passer par d'autres langues - connues, inconnues, pour mieux sentir celle en creux, la redécouvrir, l'explorer de la voix, la réécrire, la modeler, aller jusqu'où il est possible - qui mène l'autre ? mystère...

9 commentaires à propos de “autobiographies #03 | la sève, le sang, l’encre et l’abricotier”

  1. Et l’on voudrait que cet abricotier vive et se rebelle !
    Merci pour ce texte.

    • … il a effectivement la vie dure dans ce texte ; sans doute pour ça que la première image en opposition à sa fragilité qui me soit venue est celle, en hiver, des platanes et de leur silhouette entre supplication et menace quand ils dressent leurs gros bras vers le ciel. Merci pour ce retour, Monique.

    • … même sève de mots que le cèdre de G., mais sans aquarelle cette fois ! Merci de ce retour, Anne.

  2. Bien d’accord avec toi, Christiane, sur le fait que tout tient, pas besoin de points, ce glissement…
    et j’ai connu aussi un abricotier, il était rescapé de l’inondation de 2014, blindé de tas de déchets à ses pieds de bois, de terre et de bouts de barbelé… et c’était fort de le voir fleurir le premier printemps qui a suivi la catastrophe
    je ne sais pas pourquoi l’image me revient après avoir lu ton texte…
    merci à toi, Christiane….