#Carnet individuel | Claire Le Goff

28/40. les yeux verts cheveux noirs les grands bras longues jambes et les fossettes qui lui font des étoiles au creux des joues le premier jour la rentrée il se balance sur sa chaise contre le mur du fond elle répète ressasse rumine rabâche les yeux verts cheveux noirs les grands bras longues jambes et le jean propre et usé avant arrière il se balance et rit de ses grandes dents dont les deux de devant ne se touchent pas se laissent de la place elle rabâche elle ressasse jusqu’à 480

27/40. Elle cherche du temps pour écrire qu’elle ne trouve pas malgré ces mots jetés là. 

26/40. quand la maladie enveloppe, maintient à l’intérieur, autorise à ne pas sortir – réel du corps qui décide, chose physique, netteté de la nécessité – au creux du cocon cotonneux – barbe à papa, sensation floue que le dehors n’existe pas – on vole du temps au temps, on vole au-dessus – nuages blancs 

25/40. corps lourd encore – yeux fermés – poser le pied – dos voûté – eau coule sur peau à volonté – doigts au piano, dans les pages, tapent au clavier – jambes avancent, bras portent – va et vient – la marionnette qui jamais ne s’arrête – des fils, des fils tirés les mains les pieds – frotter ranger plier trier classer placer reprendre – faire et refaire c’est toujours travailler – disait ma grand-mère – pantin articulé – tant qu’on a un corps – que jamais ne s’arrête – pas encore  

24/40. fatigue mollesse un peu de vaisselle des miettes du linge qui traîne entasser se laisser étouffer attendre que quelque chose se passe tout ranger le corps sur la chaise là à ne rien faire jusqu’au dernier moment l’urgence quand on hurle de ne rien faire attendre que quelque chose se passe le temps file le temps file se fondre dans un lit dormir dormir encore toutes les nuits je marche dans la ville c’est qui c’est quoi ça catherine anne toutes les nuits je marche dans la ville c’est vieux c’est loin écrire être là taper n’importe quoi on est samedi c’est moins la course sous les aiguilles des horloges laisser filer le temps sans rien laisser de soi il y a des temps morts comme ça morts on dit et ils sont bien vivants 

23/40. 01/12. Ana 350 + Cécile 15 + Denise 15 + Mariette 116,66 + Charly 175 + Michel 60 + Stéphane 30 + Livie 40 – 4 bougies 67,76 – 1 filtre à air 31,69 – 1 filtre à huile 17,69 – 51,60 huile de moteur – 1 diagnostic 20 – 1 bobine 49,04 – main d’oeuvre 50 + 20% TVA (57,56) = 801,66 – 345, 34 = 456,32

22/40. La boîte à livres ou, pas de côté, un poème express façon Suel. Il y a des gens que le saccage a pu choquer : mes détenus de la prison, qui y voyaient un manque de respect <3

21/40. Courir sous les aiguilles du temps.

20/40. Un signe de la main tardif à ce mardi que j’ai laissé passer.

19/40. Je voudrais des tickets, s’il vous plaît, un paquet de dix, elles sont jolies vos lunettes, oh ! une clémentine, tous ces kiwis, c’est gentil, merci.  

18/40

17/40. Il faudrait tout refondre.

16/40. longue robe noire en laine, châle écru, bottines marron savamment usées, robe vieux rose à fines fleurs, foulard bordeaux, doudoune à grand col en fourrure synthétique, gilet gris anthracite (allure confortable), jean sorti de la machine à laver, brassière blanche pour tout soutien-gorge, pantalon de velours côtelé (neuf avec étiquette), chemise bûcheron à carreaux rouges, jupe cuir bleu pétrole, serre-tête avec nœud orangé, manteau à capuche (fausse peau de lion), pyjama avec singes phosphorescents, robe léopard à mi-genou, pull chauve-souris mauve, collants ajourés, chaussettes jaunes à pois pailletés, bonnet vert canard

15/40. Bisous. Bisous. Vous êtes belle comme ça. Je me suis rencontrée. J’ai rentré chez moi. J’ai venir au magasin. J’ai préparé pour manger. J’ai prends le petit-déjeuner. J’ai fait une heure de la marche. Il faut que la langue lâche. Je vais m’acheter une bouche qui parle français : sur Le Bon Coin, c’est pas cher. Tiens, les clefs. Oui, mais après tu verras. Moi je trouve que c’est pas complet. Elle va pas construire son histoire autour d’un clou de girofle ! Il faut que ça se passe forcément sur un plateau de télévision ? Ouais. Ouais. Ouais. Ah ! Ça y est ! Un paquet de mouchoir, j’ai toujours ça dans ma poche. Faut dire qu’avec deux petits garçons. Tiens, mon numéro. J’ai pas reçu la photo. C’était super, samedi, ça m’a fait du bien. Les maths, c’était un peu difficile. Tu peux me faire mes lacets? J’ai que ça à mettre comme sweat. Ça c’est vraiment une histoire que j’ai jamais vue. Le clou de girofle, c’est inspirant. Ça peut emmener dans des univers mais pas au point d’en mettre des pages. Oh ! Basta ! C’est une idée. On dit rien, après tu dis qu’on fait des commentaires. En littérature on a le droit.

Quatorze. Pas eu rien qu’une seconde pour la quatorze.

13/40. S’arrêter net sur la phrase qui invite – Das Bild der Unzufriedenheit, das eine Straße darstellt, da jeder von dem Platz, auf dem er sich befindet, die Füße hebt, um wegzukommen – la langue tant aimée, oubliée – l’image de l’insatisfaction qu’une rue – qu’une rue donne à voir – puis da, là, qui gêne, ce car, possible puisque, dont on ne voudrait garder que le que derrière deux points et non pas la virgule – l’image de l’insatisfaction qu’une rue donne à voir : que chacun lève les pieds pour quitter la place / l’endroit où il se trouve – lever les pieds ! on ne passe pas l’aspirateur sous le canapé – lever les pieds, ou marcher, avancer, mettre un pied devant l’autre – l’insatisfaction qu’une rue donne à voir : que chacun mette un pied devant l’autre pour quitter l’endroit où il se trouve – comme si je trébuchais, comme si c’était l’armée – singulier, chacun lève le pied – c’est encore autre chose – que chacun continue d’avancer – que deviennent les pieds ? le pied, cet instant précis où le pied, quoi, se lève ? on dit cela, vraiment ? que se lève le pied ? Ce qui se joue entre deux langues : qu’on arrête le monde pour m’expliquer. 

12/40. Un peu de ma grisaille

11/40. Je suis sur le lit dans la chambre rose et verte, des heures entières prisonnière des lignes à encre noire, tandis qu’il fait grand jour à travers la fenêtre d’où me parviennent, depuis la rue, des fredons heureux. Vinca et Phil, Phil et Vinca : je les envie, je les adore, je les dévore. Je les envie de s’aimer si mal et si fort que ça les dévore. J’ai quatorze ans, un blé en herbe au-dedans, sous l’oreiller le carnet où j’écris en secret à l’encre pervenche.

10/40

09/40. Ne pas s’attarder sur le temps passant, perdu aux choses inutiles, ne pas s’attarder sur les ratages les silences les absences, ne pas s’attarder sur les cris à la lisière de la folie, ne pas s’attarder sur la crasse dans les coins les amoncellements les pots de yaourt, ne pas s’attarder sur les cicatrices sous les pansements blancs, ne pas s’attarder sur soi dans la peine dans la joie, ne plus trop s’attarder sur toi.

08/40. Clinique Maymard

07/40. Visage. Pas de visage.

06/40. Mardi 15. Personne d’autre que moi n’aurait remarqué que grandit cette tache au plafond, grise comme mon oubli dans la chambre d’hôpital. 

05/40. Lundi 14. Ciel d’encre au son des camions. Autre rayé de fils blancs. Un ours de coton joue au-dessus. Maintenant c’est presque gris, près de l’ardoise. Plus tard, il sera trop tard. 

04/40. Dimanche 13. Il fallait une phrase, j’ai loupé la phrase, qu’est-ce que je pourrais dire, écrire, déjà les tâches matinales, la liste des choses à faire, peut-être demain, nouveau rendez-vous.

03/40. Samedi 12. Il aurait fallu arrêter la voiture et baisser le carreau, peut-être ne rien dire, rester un peu pour voir, même sans demander, ne pas prendre la fuite, ne pas continuer de rouler, ni faire comme si de rien, toute une vie comme si, c’est long une vie.

02/40. Vendredi 11. Cela et rien d’autre, entre les mains : jour de rentrée, la première fois dans la salle de classe, et l’enfant qui se balance sur sa chaise contre le mur du fond, qui regarde de droite et de gauche et rit de toutes ses dents dont les deux de devant ne se touchent pas, se laissent de la place. Autour, des visages flous, planètes dérisoires. Toujours cette même image – sans cela, pas d’écriture – ce que je crois.

01/40. Jeudi 10 novembre. L’imprévu. Incipit. J’écris ça et après. Qu’est-ce qui vient après ? 6h16. Tout le monde dort encore, tout est sous contrôle. Le chat à ma gauche fait sa toilette. Je répète : la belle Pompon écaille de tortue, sur le tapis de mon bureau, fait sa toilette. Je pose mon regard longuement. Cela n’arrive pas d’habitude, que je m’intéresse à Pompon plus que cela. 6h30. Le réveil sonne. Notes de Chopin. Sublime. Opus oublié.

A propos de Claire Le Goff

Pratique théâtrale, mise en scène et écriture à Bastia, Compagnie Ghjuvanetta. Enseignement du français langue étrangère. Quelques publications : Mademoiselle Grelon (La Scène aux ados, Promotion théâtre, éditions Lansman, 2015), Des Miettes (recueil de nouvelles La Peau des autres, éditions La Passe du vent, 2015), Café de la Porte Dorée (recueil de nouvelles, concours Musanostra 2018), Contre le mur de pierre, Et sa désolation (recueil à venir, Musanostra 2020). Blog d'écriture en cours, Confiture d'épinards. Heureuse d'être parmi vous !

12 commentaires à propos de “#Carnet individuel | Claire Le Goff”

  1. Quand je pratiquais, un peu, le Kung-Fu, je n’étais pas mauvaise du tout. Mais. Puis un jour, un collègue, que j’estimais moins fort que moua, puisqu’il était là depuis des lustres et que j’étais meilleure que lui en peu de temps, vient me dire « ah si je respirais pendant que je fais les exercices, je suis sûr que… », j’ai oublié la fin de sa phrase. Par moment, je me souviens de respirer, mais pas tout le temps. Pourtant, « tout » est là. Je crois…en attendant de le prouver « scientifiquement, scientifiquement… ».

  2. formidable 13 en arrêt question je n’avais pas vu l’armée dans les pieds (chacun lève le pied … ) lever le camp… on ramasse la poussière en quelle langue, après

  3. « Je vais m’acheter une bouche qui parle français : sur Le Bon Coin, c’est pas cher. »
    Magistral éclat de rire !
    Merci

  4. regardez un livre par sa quatrième, comme ces peintres des nuques, c’est émouvant, surtout quand la copie de l’Amant a autant vécu. Je retrouve ce texte que j’avais écrit dans une publi insta, à l’époque où je dirigeais une boite de soutien scolaire :

    Pour Marjorie, l’une de nos lycéennes, l’obsession c’est le passage du bac. Avec mention.
    Pour Marguerite, à quinze ans et demi, l’obsession c’était aussi le passage d’un bac. Mais sur le Mékong.
    ~
    Sortir de nos bureaux, entrer chez le voisin, un libraire bien connu, se dire qu’on relirait bien l’Amant, juste pour le plaisir d’y retrouver cette phrase, « C’est le passage d’un bac sur le Mékong », et puis toutes les autres phrases de ce livre, dont l’atmosphère est restée gravée en nous.
    ~
    Choisir une copie d’occasion, pour cette jouissance de lire après quelqu’un, de déchiffrer les émois d’une autre, crayonnés dans les marges. Découvrir avec surprise qu’en guise de marque-page, on y avait laissé un antique billet de … bac, un bac pour la traversée de Dakar à l’île de Gorée.
    ~
    Rentrer chez soi, après avoir lu dans le train et raté sa station, puis se dire que cet exemplaire de l’Amant mérite bien le portrait de l’auteure, cette fameuse photo de jeunesse, à encrer à même la couverture. En confier la responsabilité à un jeune homme passionné de musique du monde, lui aussi un obsédé des bacs, ceux où patientent les grandes galettes de vinyle noir, dans les sillons desquelles reposent tous les rythmes de la Terre.

    je découvre votre écriture, j’irai sur les autres traces que vous avez laissées sur le web…