ceci est

ce dont je me souviens à peu près : il y aurait eu, après m’être allongé, d’emblée  tout crispé, (te vlà bien sec et droit comme un coup de trique, celui que je devine en surplomb aurait décrété…), hésitant jusqu’au bout à m’encager au corps, pas encore paumé ni échoué mais heureusement soulagé de cette part d’invisible que sécrète l’obscur, et cramponné par crainte et rampante survie aux rumeurs et messages incertains des quelques doubles étendus dans la pièce, (en compagnonnage aléatoire et fine couche d’angoisse diffuse au ras du sol, comme ces volutes de brume légère à peine changeante au velours des prés, certains matins de boue et de mousse) ; ceci donc est mon corps mais je répugne à m’effacer tout à fond jusqu’à ses archipels et constellations d’atomes cellules humeurs réseaux faisceaux muscles chairs, et tous ses haubans ses drisses, ses filaments fulgurants, sa circulation infinie d’éclairs, brûlures, et autres décharges), je flotte encore, soutenu, assemblé, délicatement bercé et attiré par le clapotis léger des soupirs et murmures de mes frères et sœurs limbiques (comme le plongeur espère plus haut la tremblante lumière aqueuse qui frotte ses rides, émiette ses paillettes de vert et de bleu, déploie et replie son froissé-défroissé d’ondes, paupière liquide émaillée d’échardes vives, copeaux de ciel, explosion, surface, limaille d’eau sur le visage et…) –- et encore souffles, soupirs, frôlements, remous chacun cherchant appui, repos, niche, comme le chien tournant sur lui-même avant de s’affaisser au pied du fauteuil du père, avant de barrer de sa gueule pantelante, rose et noire, crocs, le signe égal des pattes étendues, avant le désastre insondable de ses yeux éplorés, les longs fils de bave jusque sur la moquette grise, tandis qu’à sa rive la porte-fenêtre agite doucement sa voile arachnéenne, comme le mouchoir dans une main mouillée d’au-revoir — mais heureusement revient l’amarre rassurante, la voix âpre et miel (grelots d’or bourdonnant sur chapelet de lavande rêche et sucrée, chaleur soir été, trémulez collines rougeoyantes) – « fermez les yeux, abandonnez-vous à la respiration lente et large » – braise et forge de poitrine, puis son paisible ressac et ses bras d’air prolongés dans tout le corps, ses rus d’eau de sang de nerfs jusqu’aux extrémités des ramures effilées, jusqu’aux dendrites des doigts écartelés en étoiles de mer immobiles sur la couverture  rêche à même le sol –- il y aurait eu, oui, le souffle irradiant depuis l’astre plexus jusqu’à son plus ténu diffracté, pulsations infimes du cœur, frissons fragiles à leur pulpe rebondie, ventouses échangeuses de vibrations ondes éclairs et tessons d’images furtives —  … « concentrez-vous sur le poids des talons » … semelles de scaphandrier, je suis le plomb, la lave de mercure solidifiée, et toute l’ancienne torpeur sédimentée aux interfaces de contact, derrière les mollets, les cuisses et les fûts millénaires d’arbres fossiles, les fesses, le sacrum, sa pointe de flèche, mon âge de silex, puis les vertèbres juste après le creux des reins, l’empilement sec et mécanique des osselets, ma tour de Babel renversée, je jette tous mes osselets dans le ruban de fer au pied du platane pelé (râpe tes phalanges gamin accroupi tourne satellite dans l’anneau roux, jette ramasse rattrape dessous-dessus tes mignons osselets, aux genoux la scrupuleuse morsure des minuscules graviers, à tes genoux gaufrés les petits cratères de l’univers goudron récré); il y aurait eu ensuite, en remontant un à un les segments calcifiés de la chenille vertébrale, les omoplates desséchées comme les boucliers délaissés de chevaliers défaits, ou bien l’écaille de pierres blanches et sèches qui tintent clair sous les pas, et dessus les lanières de poussière au pochoir des sandales — il y a il y aurait eu enfin un couloir long et son carrelage blanc et droit, étiré comme un chemin de morgue, la glace de ma joue collée dessus pour éteindre le feu de mes yeux néons, alors il y aurait eu tirer la terre sur moi la remonter sur mes genoux comme un vieux plaid usé, ou mieux, ras le menton, rangé plié sous un drap d’hiver, pour toujours absent et enfin moins qu’irréductible étranger, absent avant de fermer, âpre et miel je me souviens

8 commentaires à propos de “ceci est”

  1. Comme j’ai du mal à te suivre Jacques et pourtant je voudrais tant. Méditation, eutonie, inhumation, on pense à tant de choses mais comme à chaque fois tu coupes le fil du récit qui commençait à affleurer (dans les parenthèses, bien sûr). Comme toi, j’ai envie d’en savoir plus sur l’histoire et toi, tu ne veux pas.
    A la prochaine, quand même ! (je relirai,une fois, deux fois, dix fois)
    Au fait, j’ai fait une suite à mon granit, mais je répugne à passer dessous.

  2. ai largué ma tentative idiote de pénétration du sens en route me suis laissée emporter

    • En fait c’est multiplicité de sens images sensations pire que mille feuille, sais pas trop où ça va et comment ça cheminera ??? Merci d’être passée en tout cas !