Ceci n’est pas la #2

Dans l’esprit du Journal sans Journal, la #2 se lie au clou de Robert W. dans l’atelier du dernier hiver. Ici consigné, un des textes de ma série Hors-Sérail, qui se retravaille en écho.
À travers le linge fin et trempé de sueur, à travers la peau boursouflée des cicatrices, dans les chairs profondes,  un trait fulgurant  de douleur, fin comme un cheveu d’enfant. Le corps, ne bougera pas. C’est le 7ème jour du sevrage. Les monstres sont derrière lui, avec la violence du cauchemar, ni tout à fait la même, ni tout à fait… Il gémit, au supplice. De l’autre côté du mur, le front d’Osmin frissonne…Ni tout à fait un autre, le cauchemar redit dans toutes ses langues les coups et la honte. Mais l’agacement pernicieux de cette piqûre dans son dos distrait obstinément Selim du souvenir. Étendu, les bras en croix, sur le tapis , comme un bois flotté au milieu d’une rivière de chaux… un mot de lui et Osmin cassera le mur qui les sépare, au lieu de prendre la porte, tant il se languit d’un ordre de son Maître. Selim essaie de retourner en rêve à la maison sans porte ni fenêtre pour fuir cette lancette insistante dans son dos qui toujours le ramène au 7ème jour du sevrage. Il ne peut pas se cambrer. Son corps l’ignore. Il ne parle qu’à ce fil d’or qui l’aiguillonne, le brûle, l’éclaire. Un fil d’or indiscipliné. Un échappé de la broderie délicate qui raccommode ce tapis, usé jusqu’à la corde, où Selim ne dort pas, où il se noie dans son noir jusqu’à la chute qui est pour lui le seul sommeil. Un fil d’or rebique et cherche à travers lui son passage vers le ciel. Il fait beau soudain dans la nuit. La Brodeuse, Osmin l’avait ramenée du Marché des Vacillantes. Avec ses deux phalanges de métal, on la croyait joueuse de qanun. La Soigneuse au premier coup d’oeil a reconnue une femme de l’art du kintsukuroi, Celle-qui-sait-joindre-avec-de-l’or. Chaque jour depuis, elle brode la lune et le C du Sérail sur le tapis de Selim. Cicatrices magnifiques, gloire des toujours-vivants. Les fils sont ses fils, tous, y compris le franc-tireur qui blesse Selim en cet instant…

A propos de Emmanuelle Cordoliani

Joue, écrit, enseigne, met en scène et raconte des histoires. Elle a été décorée par Beaumarchais ( c'est un raccourci mais pas une usurpation ) et elle travaille avec la même équipe artistique depuis des lustres ( le Café Europa ) ce qui fait sa fierté et sa joie. Voir et explorer son site emmanuellecordoliani.com

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