C’est moi

Je ne me rappelle plus ce que je faisais lorsque le téléphone a sonné. J’ai décroché, dit Bonjour et il a dit C’est moi. La dernière fois que j’avais entendu sa voix, j’avais quelque chose comme quatre ans et trente années donc s’étaient écoulées avant ce coup de téléphone. Comment ai-je pu le reconnaître comme une évidence ? Troublant. Il m’a dit être venu me voir. Nous avons fixé un rendez-vous pour le lendemain midi dans un café dont je lui ai donné l’adresse. A midi. Aucune explication demandée ou fournie quant à cet appel. Oui, à demain. Il serait habillé de blanc. J’aurai un sac en tissu bleu. Fallait bien ces repères.

Je l’ai vu tout de suite. Seul homme vêtu de blanc de la tête aux pieds. Lui aussi m’a vue tout de suite. Il se lève à mon approche. Il est grand et plutôt mince. Il me plaît. Bises. Sur la table de bistrot, des cigarettes de la marque chesterfield et une rose rouge. C’est pour toi. Remerciements. Tu fumes ? Il allume une cigarette. Oui. Il me tend la sienne. Il questionne tranquillement. Qu’est ce que tu fais ? Qu’est ce que tu aimes ? Je demande aussi. L’approche réciproque est sans brusquerie. De longs silences sans pesanteur. Il fait chaud un peu et le kir est frais. De temps en temps Et toi ? …On m’a dit que … La rose se fane sous sa cellophane. Je le sens sincère. Rien à perdre. Moi non plus. Il me parle de la lettre qu’il a reçue et qui l’a décidé à venir me rencontrer. Une écriture énergique qui dénote un désir de pouvoir. Je ris ah ça ne m’ étonne pas. On se dit nos goûts. Les cacahouètes et olives grignotées, on décide de déjeuner ensemble. On bouge. La rose nous suit. On ressemble à deux amoureux intimidés. La différence d’âge, le blanc de son costume, le bleu de mon pull et le vert de ma jupe détonnent ? La rose ? Les gens que l’on croise nous regardent. Je suis gênée. La conversation se prolonge. On se parle pour la première fois. Il répond à mes questions, soulève d’autres questionnements. Des choses importantes mais le ton est presque badin. Pudeur et prudence. Les deux combinées, ça donne du velours bien épais. Hors saison.

Il refuse mon invitation à entrer chez moi pour voir où j’habite. Trop tôt dit-il. On se quitte en se disant à demain. Tout le soir, je refais la journée. Je ressemble à mon père et je viens de l’apprendre. Lui a découvert qu’il était grand-père d’un enfant de dix ans. La claque. Le lendemain, il demandera à me raccompagner jusque dans la maison.

A propos de Louise George

Diverses professions et celles liées au "livre" comme constantes.

2 commentaires à propos de “C’est moi”

  1. Très beau texte tout en douceur, en nuances, comme « le velours bien épais ».