Côté fil, hypothèses de survie

Il a dit quoi ? Elle va faire comment ? Aller dans l’écriture, la vie. Attends. Seulement si l’écriture est le corps de la vie. A quoi ça se reconnait ? Elle croit … Elle a senti. Parfois ça marche. Le bruit de la pelleteuse toute la journée (espérons que non) au travers des fenêtres à barreaux, de l’endroit où ils se sont réfugiés (un squat). Bruit qui empêche de se concentrer en plus des bruits en dedans. L’écriture comme une vie qui se découvre, un corps qui se livre. Leslie Anton attaque sa journée. C’est comme ça qu’elle voit la chose. Elle écrit sa journée. Lettres images sons. En gros c’est ça pour elle. Pour le moment on va dire. Elle est partie, elle est en dépression paraît-il. Arrêtée. En burn out mais elle n’est pas sans ignorer … Elle ne veut plus travailler. Non, non. Parfois, elle se demande si ce qu’elle écrit n’est pas ce qui se réalise, un modèle. Relève la tête : le lierre grimpant trop fort empêche de fermer la fenêtre et avec ce bruit qui semble si proche, il faudrait un sécateur. Quelqu’un sait-il où je peux trouver un sécateur ? Elle cherche dans sa tête une solution et écrit tout ce qu’elle pense pour aider. Les autres vaquent ou ne font rien, assis ou allongés à fumer. Elle s’est dit, tu quittes ton appartement tant pis. Quelle folie ? Et pour atterrir où ? Ce squat d’artistes et autres déroutés ? Quelles sont ses chances de survie à l’extérieur, faire le bilan de ses actifs, matériels et immatériels, son passif, et puis, ouvrir quelques hypothèses qu’elle titre : hypothèses de travail. Car dans son esprit ce mot veut dire accoucher de la vie comme on parle de travail pour un accouchement. Le travail ahurissant de vivre sur cette terre saturée, porteur d’humains saturés comme elle, sur lesquels on ne peut plus rien tracer, plus qu’à éponger, avec de la gomme mie de pain de préférence, en repliant soigneusement les morceaux imprégnés au fur et à mesure. Se dit-elle en se remémorant le geste. Envie de les dessiner tous pour commencer. Voudraient-ils bien se déshabiller pour elle ? Sur les murs à défaut de papier d’emballage. Pour être dans leur nudité et non leurs sapes empruntées. Qu’elles tombent les sapes, pour mettre fin au scintillement éblouissant et qu’on entre dans la neutralité critique entourée de sons justes. Pour arrêter de métaboliser la souffrance éperdue du monde entier dans son corps la nuit. Pense-t-elle. Leslie Anton écoute le chant des derniers oiseaux qu’elle transforme en volutes au piano dans sa tête. Écrase la mine de plomb qui lui reste et la fait virevolter. Se lève. Pouvoir franchir enfin le couloir entre la porte claquante de l’espoir toujours déçu et celle de son désespoir. Sortir.

Où atterrir ? Il a dit … Elle ne se souvient plus exactement. Elle a répondu … Ensuite elle est allée se perdre dans les bois ; arpenter en empruntant les sentiers au hasard, qu’elle reconnaissait ou non, rejetant le plus possible de son corps, murmurant à voix basse et ensauvagée les incantations libératrices, reniflant l’humus comme un animal. Et une biche qui l’humait au loin, elle, l’humaine, barrant la route de forêt, en arrêt avant la clairière, et le temps de se dire et s’arrêter pour s’imprégner de sa présence … elle était partie. Comme si elle s’était regardée filer elle-même. Il n’y a que le trop tard ou le raté qui nous sert de leçon, même en le sachant, qu’on est figé dans nos comportements, écrit-elle assise à sa table de travail, tournée face au beau jardin. Le vivant qu’il va falloir lâcher lui aussi. Les branches du saule se balançant, la mini forêt de sapins, le face-à-face du frêne et du hêtre, le bouleau et sa partition inégale, dont le sommet reçoit les réunions d’oiseaux à l’automne, et les cercles infinis de branches de lierres entrelacées, accrochées ici et là pour témoigner de l’alliance scellée avec l’homme sur ce sol. Partir. Il a dit … Non, plutôt l’escarmouche du où atterrir maintenant. En avance sur l’époque, le marasme, la confusion, en retard pour son âge, commettre le quelque chose à tout prix, assise sur trente ans de guerre intestine. Sortir.

Mes potes ont réussi à lancer leur cd. Et moi sur la route de l’oubli. Je cavale je cours. J’ai l’ordinaire naturel de mon procédé. Pas ma place dans celui de la fosse. Fausse commune. Ma peau vous la voyez pas ma peau. Elle flotte entre deux ossatures. Entre deux vagues qui s’écrasent au sol. Terminaisons muqueuses allergiques. Vibrations à 8000 hertz aux tympans, je prends tout. Je rejette tout. Presque. Après transformation, raffinage du brut ramassé ici et là par terre dans les bois. Et by. Mes potes ont leur boîte à bd. The rat, tout ce trafic ultra déchiré. Vous ne pourriez même pas les écouter. Je ne sais pas ce qui en résultera. Personne du parcours obligé ne m’a donné les mots ni la clé, les pires personnes. Maintenant c’est comme une plongée sur les notes extrêmes du piano, celui qui végétait dans le salon. Bref, dur très doux. Long, doux très dur. C’est comme le chant sinistre et beau d’une vie slave qui s’achève. Ma vie. La mienne de vie. Qui s’empêche et se retient de bondir. Qui m’apprend indéfiniment le report de l’envie. De mordre. Et parfois elle hurle et claque. Elle cavale dans les hautes herbes imaginaires sans les aoûtats (avec les loups). Pas de milieu entre la pure bonté et l’arme blanche plongée dans le corps ennemi. Non, pas de milieu. Ce qui appuie sur les épaules au jour le jour. Qui s’efface gentiment par instant arraché à la mécanique du temps. Quand mes mains carburent avec leurs prolongations étudiées. Outils. Outillage, atelier vole. Un faible horizon pourfend alors l’air englué. Notes douces, très lentes. Vous ne savez rien de cette lenteur moi si. Je verrai bien, je partirai, et donc, salut.

Survivre. Altérité. Définir l’objet de recherche centrale. Injonction écriture choix face écran. Choix de rues. Non choix. Calmer le jeu vital compromis et compressé en permanence. Trop de monde. Personne. Examiner l’objet méta-corps dressé dans la lumière nuit. Faire durer. Lutter contre la disharmonie de l’insaisissable comme dans le vent contraire, marcher. Cris intérieurs nécessitant l’extraction en mots écrits sur les parois de la grotte et par terre. Pelle excavatrice et matériaux giclant sur les côtés. Fils inépuisables à démêler full dread mentales. Quelle forme de corps a revêtu la pensée, la vie qui se déroule dans le rien de tangible, quelle forme de vie a emprunté le corps. Rocher parmi les rochers en proie, non à un dysfonctionnement organique mais à quelque chose ressemblant de près ou loin à ce qu’endurent, le sait-on bien, les dépossédés de leur vie, malades mentaux et autres, migrants. Le sommes tous. Ce n’est qu’une question de temps et de degré et d’ignorance de notre situation. Bientôt des milliards de rendus déplacés, hors de. Ne pas se croire à l’abri à l’intérieur d’une jolie petite vie organisée pour ne pas se poser de questions. S’abandonner au mouvement, cesser de cadrer pour voir. En lisant en écrivant avons révolutionné notre vision de l’être au monde. Dois me forcer à l’appréhender au-delà de sa plus simple expression pour ainsi dire nue, l’appréhender dans sa forme de vie. Le recherche en alpaguant les lieux à la lueur fragile d’une bougie. Mais d’abord, appréhender sa propre vie élémentaire sans destinée particulière. Quelque soit la longueur de temps. Regarder non le pourquoi (excessive punition) mais le comment, bleuir le revêtement de la route sur laquelle quelque chose en soi ou extérieur à soi s’est emparé du pied et l’a positionné pour le mettre en mouvement. Sans avancées dans la fulgurance de la vérité des choses je ne suis rien, me dis-je. Scribe ? Pourquoi t’es-tu retrouvé dans le corps fini que tu occupes, ce corps insignifiant non considéré à juste titre aux yeux du monde (de la fausse tombe fosse commune) au travers la lumière éclairant les arbres sur fond de ciel métallique, c’est un fait. Tu en es le dépositaire et ce qui l’occupe, comme on occupe un sol ou une maison. Quelle maison occuper se faisant si pas de choix de sol à proprement parler, sinon la loterie faisant office de choix. Lorsqu’un je quelconque balance le mot qui convient, alors la ruche arrête de strier, la scie de mordre l’angle de la roche. Renouvelle l’envie de se heurter de nouveau à la matière la plus dure. L’écriture est à la fois la maladie et le pharmakon qui consiste à faire autre chose de son corps que sa destination obligée : le découper et en poser les morceaux bruyamment sur une table, boucherie. Voir comment ils bougent prennent et reprennent vie ou non, se mettent en route vers l’altérité, seule véritable hypothèse de survie.