Dans la course

Sur la ligne de départ, il ne joue pas des coudes pour avoir une place devant. Pas de collant ni de combinaison, un pantalon de ski léger et une veste. Décathlon premier prix. Il a épinglé son dossard un peu en biais, mais sur la cuisse droite, comme on lui a demandé lors de l’inscription. Il a bien sûr le casque et la lampe frontale obligatoires pour pouvoir participer, empruntés à un copain ou loués pour l’occasion avec la lanière ou le bouton qui ne tombent pas naturellement sous la main. Il est là en amateur, pour voir, voire même un peu dépassé par l’ampleur de la course, par le niveau des autres, champion du monde de ski-alpinisme, vainqueur de la Pierra Menta… Tout le monde se connait, on rigole un peu de Caroline qui est en retard car elle n’avait pas fini de traire les chèvres avant d’enfiler ses habits de leader de la coupe du monde. Lui est en vacances, il a vu une affiche, a lu les mots « défi », « ski-alpinisme » et s’est dit « pourquoi pas ? ». Ses peaux de phoques sont un peu usées, il n’en a qu’une paire quand les autres en ont le haut de la combinaison remplie. Il n’est pas sorti beaucoup cette année, avec le boulot…. Il a de lourdes chaussures de ski, avec quatre grosses boucles quand les autres ont les modèles ultra légers qui se serrent avec un câble, comme les lacets rapides des baskets de l’été.

Il s’est inscrit sur deux heures, pour faire comme les autres le plus grand nombre de tours possibles sur le parcours tracé en bas de la station, fermée depuis un moment. Le jour commence à baisser, il espère qu’il y aura assez de piles dans sa lampe pour tenir jusqu’au bout. Quand il termine son premier tour, les autres ont attaqué leur deuxième ou leur troisième depuis longtemps. Mais lui, ses peaux de phoques ne collent plus, vraiment plus. Il les a pourtant mises sous sa veste pour les réchauffer, mais ça n’a pas suffi et maintenant il grelotte dans ses habits trempés et ses abdos violacés par le froid. Il hésite à repartir, boit un peu, réfléchi… Il pense à celle qui viendra le chercher après la course, il voudrait voir l’admiration dans ses yeux, au moins un peu. Alors il gratte la glace sous ses skis avec le morceau de plastique qui lui sert pour le pare-brise de la voiture, replace des peaux qui collent à peine et repart pour un tour.

Pour l’honneur.  

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.