De l’infinitif – Introspection sous verbe

Naître un 16  naître un 17  naître d’un mois d’hiver naître à minuit naître à zéro heure   Naître sur une crête au-dessus d’un comptoir de bar entre des « J’ai » et des « Je suis »   Compter et recompter les barreaux d’un petit lit d’une fenêtre au Nord donnant sur cour   Compagnonner avec la rage   Les mains liées pratiquer le silence   Courber la tête et les épaules   Se taire   Grandir à l’ombre des maîtresses de Dieu   Se taire   Lire rêver la rage se taire survivre   Piocher du bonheur en picorer en voler ailleurs   Rêver imaginer très fort survivre   Fuguer à quatre ans dans toute l’innocence de la volonté   Se nourrir de mots avec son grand-père apprendre la douceur des choses et des mets avec sa grand-mère s’élever  Comprendre des mensonges découvrir des secrets survivre apprendre à partir apprendre à fuir   Apprendre le combat se révolter connaître des luttes survivre aimer la vie   Laisser le soleil se jouer de soi se laisser rire   Dormir   Veiller des nuits entières connaître la frayeur se sidérer de terreur survivre aimer la vie   Travailler se soumettre oublier de comprendre se taire   Croire sa vie croire les moments vécus croire avoir toujours tort se taire survivre   Penser partir croire fuir partir   Rager colérer combattre pleurer rire et apprendre   Aimer à tort aimer à raison et puis aimer   Redécouvrir les mots redécouvrir le sens des mots coucher des mots en cacher en accoucher aimer   Lire relire partir encore fuir   Changer les ordres se désordonner prendre peur se morceler survivre aimer la vie vieillir   Devenir mère devenir maman au même instant aimer à la folie grandir   Vieillir veiller pleurer rire survivre   Travailler travailler travailler travailler travailler fuir le sommeil  perdre le sommeil    Brûler   Insomnier depuis   Changer reprendre la route reprendre les mots imaginer d’autres réalités   Réaliser à tort réaliser à raison réaliser à travers puis à côté aimer la vie   Déménager beaucoup   Déménager d’une rue à une autre d’un quartier à un autre   Vivre dans une voiture   Squatter sans savoir le squatt   Quitter un quartier pour un autre   Changer de villes   Déménager d’une région en trouver d’autres   Camionner cartonner installer désinstaller changer parler dire écrire   Survivre aimer la vie   Être ici   Offrir ses confiances montrer ses méfiances   Tarir les pleurs écarter les souffrances refermer les failles colmater les fissures accepter   Lâcher la rage garder l’énergie   Ne plus croire aux ordres douter des réalités   Imaginer se faire confiance parquer ses méfiances les parceller   Se trahir démembrer ses confiances s’offrir la confusion   Quitter   Se lier à quelques objets ne jamais s’attacher aux maisons   Ancrer des libertés s’ancrer   Cheminer les mains libres dépendre sa langue suspendre ses pensées accrocher ses rêves   Écrire imaginer inventer artister   Récupérer l’enfance la sac-à-doser récupérer des envies accrochées aux porte-manteaux de ses écoles réapprendre   Construire d’autres bases les démolir les reconstruire les déplacer le replacer les remplacer   Tester   Maudire le ciel maudire les maîtresses de Dieu maudire ses habitudes   Maudire   Contrarier ses préférences ouvrir des boîtes de Pandore ne rien refermer   Se balloter aller d’un côté aller de l’autre se mettre à côté se mettre de côté observer survivre aimer la vie   Manager diriger statégiser lobbyiser s’oublier des décennies s’empoissonner dans leurs bancs suivre leurs mouvements s’échapper de la murmuration et survivre   Retenir des mémoires en relâcher en dégripper en désagripper les remiser   Aimer la vie le doute en écharpe accroché   Danser musiquer théâtrer écrire   Dansouiller musicaliser théâtraliser écrivailloner approximer   Remiser   Amorcer abandonner réamorcer s’abandonner   Ambidextrer à longueur de vie   S’esseuler refuser d’encombrer déranger sa vie   Dire stop   Aimer ses pudeurs   Désobéir un peu trop peu parfois à la folie   Désynchroniser   Dyssynchronner   Porter la honte la légitimer la questionner l’illégitimer   Naître sans parents naître hors de leur volonté   Naître d’un grand-père et d’une grand-mère   Naître d’un milieu désincarné sur une crête au-dessus d’un comptoir de bar et s’y sculpter en double-corps   Aimer la vie   Ne plus survivre   Vivre   Et ne pas être certain.e que tout ceci soit la réalité

17 commentaires à propos de “De l’infinitif – Introspection sous verbe”

    • Merci Marlen pour ce retour de lecture. J’ai tenté sous un autre mode aussi ; je le posterai certainement en version 2. Ça change la vision des choses et ne sais pas si je suis prête à ça.

  1. ce sacré apprentissage par lequel passons tous, mais nos infinitifs en grandissant se diversifient

    • Merci Brigitte pour votre lecture, et à votre commentaire j’ai acquiescé au début, puis je me suis interrogée sur le mode utilisé. L’utilisation de l’infinitif contribue aux divergences, ou les appuie…

  2. Verbe brut dans sa forme première qui donne à naître et à grandir… du coup on s’identifie tous… on est moins dans l’introspection mais ça donne des choses comme « dire stop »… si parlant !
    merci à vous…

    • Merci Françoise pour votre lecture. Oui, on est moins dans l’introspection. J’ai hésité à utiliser l’infinitif ; cela m’a rassurée. J’ai fait une seconde version avec un autre mode ; je pense la poster en lien.

  3. C’est vraiment magnifique ! Et ce travail sur les verbes infinitifs ce flot de mots inventés détournés tordus dans tous les sens et les maîtresses de Dieu… Très très beau. Merci

  4. Je viens seulement de lire votre texte « De l’infinitif » après avoir écrit le mien qui s’était aussi annoncé à l’infinitif. J’ai été tentée plusieurs fois de venir faire un tour chez vous. Quel souffle de vie dans ces infinitifs qui expriment tout leur possible. Bravo !

    • Merci beaucoup Cécile pour votre retour sur ce texte. J’ai hésité sur cet infinitif, et puis il s’est imposé. Comme vous, je n’ai pas voulu lire les autres avant. Bien tentée parfois, pour ne pas dire souvent. Je m’en vais lire votre texte !

  5. J’ai relevé et aimé « démembrer ses confiances s’offrir la confusion »

    • Oh merci encore Cécile, oui il arrive, a posteriori, que la confusion soit porteuse de sens et bénéfique. Alors autant se l’offrir ! :-))

  6. J’adore ce texte ! Ces infinitifs enchainés, repris et subvertis qui semblent en appeler d’autres par des jeux (?) d’assonances, l’humour dans les trouvailles néologismiques 😉 …. donnent une incroyable force à l’introspection … et un tour musical, je trouve (rock, rap, slam, …).

    • Oh un grand merci Dénéb Kypros pour ce commentaire qui me touche beaucoup ! Les jeux d’assonances ne sont pas volontaires, même s’ils sont là ; le rythme en a peut-être donné l’impulsion (ou la subversion) pour, à certains endroits,ne pas m’appesantir dans cette introspection. Quant au tour musical, en rock, rap, slam possibles : merci !

  7. Un peu en retard dans les textes, je viens de lire celui-ci et rien à ajouter aux commentaires précédents, je vous redis les même mots. Merci beaucoup. J’ai vu que vous aviez lu beaucoup de textes des autres, merci aussi de vos commentaires. Simone.

    • Merci beaucoup Simone pour être venu lire jusqu’ici et pour votre commentaire. Il y a tant de textes que je n’ai pu encore vous lire : mille excuses. Je rattraperai mon retard.

  8. Waouw ! Quel boulot ! Une vie retracée en verbe, en mots forts. Et derrière chaque passage, j’y vois des livres, des possibles, de la matière à creuser, à aimer. Merci pour ce temps passé à vous lire.