DERRIÈRE

DERRIÈRE il y a un brin de jardin, une poignée d’arbustes, orties et autres herbes folles, une maison en ruines, un chemin de pierres, des matériaux de construction épars DERRIÈRE on n’y regarde pas très souvent, on ne s’en occupe point, on l’oublie, tu aimerais bien t’en approcher de plus près, y toucher du bout des doigts mais tu ne peux guère qu’y jeter un œil ou bien juste comme ça vite fait en passant devant un miroir, quand tu regardes DERRIÈRE tu ne vois que deuil chagrin tristesse tu vois des personnes chères disparues, des qui sont malades, des qui sont marquées dans leur corps par la souffrance la maladie, des que tu n’as pas assez connues, des regrets impuissants et amers, des larmes sans cesse renouvelées, là tapies DERRIÈRE prêtes à ressurgir à tout moment DERRIÈRE n’est plus très habité DERRIÈRE n’est plus très animé non plus DERRIÈRE c’est du creux du vide, DERRIÈRE est fait de menus souvenirs, de minuscules images qui se chevauchent s’entrecroisent s’entremêlent se décolorent peu à peu, ternissent avec le temps, oui c’est cela DERRIÈRE ce n’est fait que de temps, du temps qui passe, ne pas se retourner regarder en arrière mais DERRIÈRE t’attire et te rebute, tu ne t’y attardes pourtant pas, un œil par-dessus ton épaule juste un œil au cas où pour t’assurer que personne ne te suit, que personne n’a mis ses pas dans les tiens, n’est-on jamais trop prudents, un œil DERRIÈRE et t’y revoilà d’un seul coup d’un seul, les visages les rires les instants pseudo insouciants, ceux qui ne sont devenus précieux qu’avec le temps DERRIÈRE les photos une date, un lieu ou bien rien du tout, tu ne sais pas DERRIÈRE il y a de l’intransmis DERRIÈRE est un abri, un refuge, une prison DERRIÈRE il y a des ruines béantes, des maisons abandonnées, un pauvre chien oublié un chat volatilisé des amis perdus à jamais DERRIÈRE ta gaieté apparente, il y a une grande souffrance DERRIÈRE la grande souffrance il y a ce deuil interminable DERRIÈRE ce deuil interminable il y a une voix qu’on n’entend pas, une voix d’enfant qui se perd dans le vent, des mots jamais prononcés DERRIÈRE les mensonges les non-dits, il y a une morne vérité DERRIÈRE sans lui pas de devant d’ailleurs, c’est DERRIÈRE mais c’est pourtant bien là, sans lui pas d’ailleurs non plus, avec lui tu n’avances pas plus que tu ne recules DERRIÈRE empiète sur chaque instant de ton existence il s’immisce il s’incruste sans avoir été invité il est toujours là présent quoi que tu fasses insidieusement sournoisement c’est plus fort que tout tu ne peux pas y échapper il est là agrippé à ton DERRIÈRE comme un poids mort il est la mort, comme une sangsue il te dévore, aspirer à plus de liberté s’en détacher s’en dépêtrer tu ne sais plus où le poser le déposer l’entreposer, DERRIÈRE ça fait mal il faut te protéger alors comme toujours tu feras semblant tu feras comme si.

A propos de Chrystel Courbassier

Après avoir passé une partie de ma vie à Montpellier, j'habite à présent, et depuis 15 ans déjà, dans le petit département de la Lozère, sur le Causse, au milieu des moutons et des mouches. Je m'occupe de mes trois loulous et de ceux des autres au sein de mon activité professionnelle en pédopsychiatrie. Et quand il me reste un peu de temps, c'est au travers de l'écriture que je prends soin de moi (écrits autobiographiques, poésie, fictions). Je partage l'aventure de l'écriture avec quelques ami(e)s inscrit(e)s depuis longtemps comme moi aux Ateliers du déluge. Mardis soirs, week-ends, à la bibliothèque, chez l'une ou bien chez l'autre, en plein été ou sous la neige, de visu, par skype ou téléphone, nous partageons ensemble la même passion des mots et des histoires. Participer aux ateliers de FB depuis l'été 2018 se situe dans la continuité de cette démarche, pour aller toujours plus haut, toujours plus loin !

4 commentaires à propos de “DERRIÈRE”

  1. Ah oui ! ce « derrière » incantatoire, ce deuil interminable, c’est dramatique et beau.