#voyages #prologue | deux temps, une réalité

J’étais à New-York, Soho, Ellis Island, Harlem, venu suivre une danseuse de Merce Cunningham, jusque dans les petites salles derrière Broadway, le lac gelé de Central Park, le Rocky Horror Picture Show à Greenwich. Une gorgée d’eau dans le parc de Fort Tryon.
J’étais à Rio-de-Janeiro, ou plutôt Rrriiodjidjaneiiiiro, j’étais à Niteroi (nikitchitchi, nikitchitchi, nikitchitchi), j’étais à Ipanema mais je n’ai pas vu la fille, j’étais au Corcovado au-dessus des favelas. Une caïpirinha à Copacabana.
J’étais à Pékin, Tiananmen, Wangfujing, Zǐjìnchéng, j’étais à Bai Yun Guan pour me laisser emporter par le nuage blanc, j’étais à Beijingbei pour acheter un billet de train pour Datong mais je n’ai jamais pu me faire comprendre. Un thé noir à Niu Jie.
J’étais à Mahébourg, Curepipe, Port-Louis, j’étais à l’Île Maurice pour regarder dans le bleu, j’étais au Trou aux cerfs, à la Pointe aux piments, à l’Île aux aigrettes pour plonger dans le bleu, j’étais le bleu et le soleil. Un jus de mangue au Souffleur.
J’étais à Rome, Trastevere, Testaccio, San Lorenzo, j’étais allé chercher des sourires devant la villa Médicis sur le Pincio et j’ai trouvé des pierres au Palatine, j’ai aussi trouvé des larmes dans la fontaine de Trevi. Un ristretto derrière le Colisée.
J’étais à Tombouctou à la recherche des cent mille manuscrits, je cherchais les traces de la plume d’Ahmed Baba et je me suis assis près de la mosquée Djingareyber pour reprendre mon souffle. Je n’avais que du coca dans mon sac.
J’étais à Tromsø, Prestvannet, Folkeparken, j’étais à Fjellstua pour voir la nuit, j’étais à Telegarfbukta et j’ai vu les lumières boréales, j’étais sur la rive du Lakseklubbukta et j’ai entendu le chant des aurores. Un chocolat brûlant à l’Ami Hotel.
J’étais à Montréal, en haut de Côte-des-Neiges pour voir Pierrot, rue Marquette pour voir Pascal, à Jean-Talon pour acheter des canneberges, chez Bo-bec sur Laurier pour manger une glace, à Mont-Royal pour balader. Une Molson près du Vieux-Port.
J’étais à Saint-Pal-de-Chalencon à la recherche de mes racines auvergnates, j’étais chez le curé de l’église Saint-Paul, j’étais dans le cimetière rue de la Graffière où j’ai rencontré le maire qui m’a parlé du Chier-Gros. Un verre de rouge, ça peut pas faire de mal.
J’étais dans mon village à La Penne sur Huveaune à regarder les gens qui passent derrière le Pennelus, à lire les noms des rues Louis Juillard, Raymond Retor, Charles Paya et me demander qui pouvaient être ces gens. Et je n’ai rien bu.

Si j’étais à Lhassa sur les traces d’Alexandra David-Néel, j’irais sur les rives du Brahmapoutre et je m’endormirais devant le Potala, même si la religion c’est pas mon truc.
Si j’étais à Mexico sous le soleil chanté par Luis Mariano, j’attendrais l’éruption du Popocatepeti et j’irais voir les chamans du marché de Sonora, même si je ne me fais pas beaucoup d’idées.
Si j’étais à Macao pour sonder les vestiges portugais, je brasserais l’air lourd d’odeurs et j’irais rua de Felicidade pour voir ce qu’il reste des bordels. Même si j’ignore ce que je ferais de ce regard.
Si j’étais à Strasbourg pour savoir pourquoi je n’y ai jamais mis les pieds, j’irais à Cronenbourg, à Elsau, à Neuhof pour découvrir un autre goût que la choucroute. Et je n’en saurais pas plus.
Si j’étais à Mumbai, je me déguiserais en vache et je me coucherais au milieu de Mutton street, à hauteur des yeux des enfants qui eux, dorment dans la rue, à Maharashtra et ailleurs. Et je resterais une vache.
Si j’étais à Fès dans l’espoir de m’y perdre, j’arpenterais les souks de la Médina jusqu’à trouver Sebbaghine pour mettre des couleurs dans mes idées. Et je les garderais.
Si j’étais au Cap, j’irais à Govan Mbeki road, à Voorbrug road, je longerais Fairway avenue et je flânerais dans le jardin de Kirstenbosch, lieux dont j’ignore tout. J’ai pioché ces noms sur internet.
Si j’étais à La Valette, j’en profiterais pour aller à Marsaxlokk discuter avec les pêcheurs et je dormirais sur un banc dans les Upper Barraca Gardens. Ou ailleurs.
Si j’étais à Kyoto, je prendrais le shinkansen sur la ligne Tokaido jusqu’à Tokyo en longeant le lac Biwa et la plaine de Nobi. Même si je n’aime pas le train.
Si j’étais à Budapest, je traverserais le Danube par le pont des chaînes depuis la place des héros de Pest jusqu’au palais royal de Buda dans le bus 16. Ou dans le sens inverse.

Photo de Mihály Köles sur Unsplash

A propos de JLuc Chovelon

Prof pendant une dizaine d'années, journaliste durant près de vingt ans, auteur d'une paire de livres, essais plutôt que romans. En pleine évolution vers un autre type d'écritures. Cheminement personnel, divagations exploratives, explorations divaguantes à l'ombre du triptyque humour-poésie-fantastique. Dans le désordre.

16 commentaires à propos de “#voyages #prologue | deux temps, une réalité”

  1. Belle partition de j’étais, si j’étais. Avec dans les deux listes du singulier du détail dans la notation qui fait que ça ouvre une fenêtre pour nous. Et puis j’aime ce glissement de j’étais à Mahebourg et j’étais le bleu et le soleil. Je resterais vache, c’est drôle. Et puis bien sûr cette récurrence des boissons. En fait, je suis assez fascinée par cette capacité à tout de suite construire de la fiction à partir d’une liste de destinations. C’est bluffant.

    • J’ai remarqué le même chose en lisant les nombreux textes, une simple liste de noms de lieux est une ouverture dans la fiction. Merci de ton passage Françoise.

  2. avais lu avec ravissement en plissant les yeux pour lire comme en rêvant et reprenant les noms de façon muette pour sentir le rythme sans malmener la prononciation mais bien décidée d’une façon générale à ne pas commenter parce que pas cap (et puis pour tenter d’éviter la confusion que j’ai ressentie avec les carnets et l’assiduité de certains, mais puisqu’avez déposé des mots sur mon bidule… viens dire que ceci est sans comparaison)

  3. Et je me dis que si on mettait tous nos lieux et toutes nos attentions bout à bout ça ferait une belle couverture de la planète. Bonne journée.

    • C’est vrai. Mais aurions-nous assez de place sur notre planète pour déplier cette couverture ?

    • Merci Gwenn. Sans doute, le paradoxe des voyages est que plus on en boit et plus on a soif.

  4. J’étais mais je n’ai pas vu. Encore tant de noir à découvrir dans le bruit. Plaisir de retrouver les plumes familières!

    • Merci Huguette. J’aime ce mot, bourlinguer. Blaise Cendrars n’y est sûrement pas étranger.