Du trottoir à la plage

Dans l’enfance tout ou presque se passe au sol, je revois ces dalles immenses gris-beige, ou plutôt beige-gris, des dalles de pierre, de la pierre travaillée, transformée, ce qui en fait des dalles beiges piquetées de noir, de couleur unie lorsque je retire mes lunettes de myope, mais à l’époque je n’avais pas de lunettes, bordées d’un liséré de damiers noirs et blancs, des dalles froides, énormes, comme celles qu’on pouvait trouver au sol d’une clinique, car c’est bien de cela qu’il s’agit, d’une clinique, et de son sol, celui qui m’a vu naître, moi je ne l’ai pas vu, trop occupée que j’étais à cette tâche ardue de venir au monde, je ne l’ai vu que plus tard à l’occasion des consultations pédiatriques et c’est là qu’il s’est imprimé dans ma mémoire. Du sol de la clinique aux trottoirs, il n’y a qu’un pas et les trottoirs de ma ville sont constitués de dalles carrées d’environ 30 cm de côté ou de pavés, dalles et pavés qui ne sont pas scellés par des joints, seul du sable les relie et ce de manière toute relative si bien que lorsqu’on est bruxellois, on a appris très jeune à louvoyer sur les trottoirs par temps de pluie, je m’en souviens, ma mère m’avait dit d’y prendre garde pour ne pas me faire éclabousser d’une eau boueuse et noire, indélébile. C’est au sol qu’à tâtons, puis en rampant, ensuite sur nos deux pieds, mal assurés, certes, nous partons à la découverte du monde, un monde qui se résume précisément à ce sol, car même lorsque nous nous tenons debout, nous n’en sommes qu’à quelques dizaines de centimètres que nous franchissons allègrement à la moindre occasion pour rejoindre ce haut-lieu de l’enfance, ce terrain d’apprentissage, de jeu, ce grand témoin, confident de nos joies et de nos peines et plus tard nous continuons, parfois, pour prendre du recul, pour se retirer de l’agitation des hauteurs plus banales. Et puis, à mesure que notre taille prend de la hauteur, on se rend compte que le sol c’est sale, même si on l’entretient, le nettoie, le récure, l’astique, le ponce, le cire (quelqu’un fait-il encore cela de nos jours), il redevient sale aussi vite, comme le sol de ma salle de bain, toute de blanc carrelée, quelle idée, ne faites jamais ça, carreler de blanc votre salle de bain, surtout si vous avez des cheveux longs, même mi-longs, et que vos enfants aussi ont des cheveux longs, c’est une traque permanente, une chasse aux cheveux qui se mettent partout, s’agglutinent autour du tapis de bain, se collent à vos pieds, à vos doigts quand vous les ramassez et ne veulent plus vous quitter. Des trottoirs à la plage en passant par la salle de bain, il y a plus d’un pas, toutes sortes de pas, des pas lourds, des pas prudents, des pas légers, des pas sautillants des pas qui s’enfoncent dans ce sol meuble que nos pieds foulent avec un plaisir toujours renouvelé, parfois vers d’autres horizons où le sable est noir, volcanique, sauvage, contraste saisissant avec ma peau claire, où le soleil, quand il est de la partie, joue avec les sculptures de glace et se les approprie pour un instant de magie, un instant qui ne connaît pas le temps.

La clinique (photo probablement avant travaux)
Son sol
Il y a 2 ans, la clinique est devenu un immeuble à appartements de luxe
Terrain de jeu, confident
Trouvé hier soir (19/10) dans un vieil immeuble un sol similaire à celui de la clinique; trouvé aussi qu’il s’agit de granito, un matériau de construction composé de mortier et de pierres colorées concassées (peut être aussi du marbre), présentant, après polissage, l’aspect d’un granit.

A propos de Catherine K.

Mon nom complet est Catherine Koeckx (prononcer Kouks). Citadine depuis toujours mais avide de nature et de grands espaces que je partage par la photo ou l’aquarelle (www.catherinekoeckx.be), je suis aussi passionnée par la ville (@bruxelles_autrement). Bruxelles mais pas que... J’ai publié Le Guide lovecraftien de Providence en 2021 (disponible sur Amazon.fr ou sur commande privée). Je viens de lancer mon blog littéraire Itinéraires pluriels (https://itinerairespluriels.wordpress.com).

8 commentaires à propos de “Du trottoir à la plage”

  1. Plus on s’éloigne du sol, plus on le trouve sale. le rapport change avec l’age, terrain de jeu, puis terrain d’enjeu, la propreté, j’ai beaucoup ri avec ce carrelage blanc de salle de bain.J’ai le même, quelle horreur.

    • Haha! 😀
      C’est vrai, j’avais pas pensé à ça… que plus on s’en éloigne plus on le trouve sale.

  2. Bonsoir, Catherine,

    Que de transformations, dans votre texte ! Le bébé dont le regard s’éloigne du sol, la clinique transformée en immeuble à appartements. Et puis aussi, les sensations au niveau des pieds, chaussés ou nus.

    Belle réussite.

    Béatrice

    • Bonjour Béatrice,
      Voilà, ma publication est revenue ! Désolée, sur messenger j’ai cru répondre à votre commentaire mais c’était celui de Jeanne. Merci pour votre commentaire !

  3. Superbe texte ! Dont on voudrait suivre les pas, comme si une caméra (merci pour les photos) filait au ras du sol et au gré d’un voyage qui ne fait que commencer. Curieux de lire la suite au cours de l’été.