vers un écrire/film #03 | demi-jour d’hier

Un éternuement ouvre le bal.  Les mouchoirs blancs jetables on dirait des oiseaux de papier ou des lettres froissées sans L. 4H25 au temps de l’écran; celui du four s’attarde à 23; au mur les aiguilles hésitent encore. 
La fenêtre bleue est éteinte, côté jardin c’est au plus noir. À cour le lampadaire municipal fait la rue. Halo d’angle. La rue Dennière attend. Des automobiles sautent le dos d’âne; ça crisse.
À la fenêtre de l’écran : …un personnage juché sur la plate forme d’un char me fait un signe de tête ; un chœur de femmes que leur mélopée devance, parait sur un charriot d’or. Je vois un lion dans une cage. Un éléphant. Des oies… Un âne engoncé dans des oripeaux braie, à fendre l’âme. Des esclaves enchainés à des bœufs et d’autres écartelés sur des portiques qu’on roule, passent. Les casques et les lances des soldats qui… après, c’est une autre affaire. Il pleut. Et quelqu’un meurt sur un banc.
Du vert sous verre. Des bocaux alignés bien au froid. Vous prendrez une soupe ?
Puis c’est la gare à colombages avec son horloge en tête. Sur la droite le bouddha d’or. Sur la gauche les casiers à colis. La cage à vélo. Les deux boites à livres. Derrière la vitrine l’homme démasqué te regarde en biais; coupe courte quarante deux et demi rasé de près; lèvres minces nez droit menton entre bégu et prognathe : « C’est grève. Un train sur deux. Suffit de lire le panneau ».
Sur le ciel noir clair les visages coupés ont mauvaise mine. Une grande lettre se prend au paysage urbain, elle va à fond de train sur la vitre.
La gare d’arrivée est un prodige de vies. Un remuement de jambes et de bras. Avec drames. Corps empaquetés. Carapaces en arme. Des passants pressés à bagages. Quelqu’un mange la bouche fait un trou das l’atmosphère.
La biche enneigée a disparu du hall. Les guirlandes aussi. Voir cette grande pièce de miroirs réfléchir. Au plafond les corps, rapetisser ou grossir; profils hydrocéphales, nez qui s’allongent ou jambe trop longues; tout ça démultiplié et bien en rythme. Une femme elle porte un enfant au dos. S’immobilise. La tête pend bouche ouverte. L’enfant rêve.
Quelques arbres mouillés sur l’avenue. C’est au fleuve un envol de mouettes. Le vent s’engouffre. Gelure aux doigts.
Au retour voir la fin du jour sur la tour qui rouille. Les horizontales bleu électrique et rose au long de la voie, parce que le soleil est venu on ne sait pourquoi ni comment, déchirer l’écran. Soleil d’hiver qui descend. La ville découpée noir sur bleu. L’odeur de pain du soir. Il y a des visages en chiffon derrière la vitrine qui s’embue. Ralentir la marche et voir, de fenêtres en fenêtres la vie qui sourd.

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

2 commentaires à propos de “vers un écrire/film #03 | demi-jour d’hier”

  1. Henri Matisse l’affirmait ainsi pour ses travaux : « Je donne un fragment et j’entraîne le spectateur, par le rythme, je l’entraîne à poursuivre le mouvement de la fraction qu’il voit, de façon à ce qu’il ait le sentiment de la totalité . » C’est, à mon sens, exactement ce que votre écriture Nathalie Holt parvient à faire pour vos lecteurs. Bravo et merci Nathalie Holt.

    • La phrase de Matisse est magnifique. Merci Ugo de me donner à lire ses mots et me de me rappeler que les écrits des peintre(e)s sont une source inépuisable.