vers un écrire film #08 | les voix absentes

paragraphe 1
Si j’étais compositrice de musique, je capterais les voix absentes et j’écrirais leurs  silences. Il faut, je le sais par expérience de la  patience. Savoir ne pas vouloir. Errer, accepter de se perdre. Muni d’un enregistreur numérique se rendre dans les nécropoles? Sous la pierre chasser ? Vous ne récolterez que du vent. Un chat-huant. Un chuchotement dévot. Les pleurs d’un arrosoir.  C’est au détour d’une promenade, dans l’obscurité d’une chambre, au sous-sol d’un parking… qu’elles essaiment leurs souffles impalpables, rires ou palabres muettes. Vous passiez et soudain… Cela suppose de la patience et beaucoup de silence. Presque rien. Une ou deux oreilles, un carnet de poche, un crayon… Je crois que si j’étais compositrice de musique je m’arrangerais surtout de ma mémoire. La vraie question serait de se tenir prête. Prête à ne rien entendre et à vivre l’absence de leur absence tout en travaillant. En écrivant ce quatuor ou cet opéra de chambre, sur le vent, sur les métamorphoses du couchant. Marcher beaucoup. Faire silence. Fuir la foule. Laisser faire. Et percevoir.

paragraphe 2
Je ne suis pas compositrice de musique et j’imagine en consolation ce grand opéra des voix où les silences se répondent. Mon plan: ni attraper, ni retenir mais rendre sensible leurs voix absentes… qui parlent, nous parlent, se parlent en silence. Par cette musique aphone susciter et révéler l’infini de leurs silences pour l’offrir à ceux qui n’ont ni le temps, ni la chance de pouvoir ne rien attendre pour entendre. Par expérience je sais que le temps où elles se font entendre est aléatoire et dépend aussi beaucoup de la capacité qu’on a de se tenir dans une écoute involontaire. Il arrive qu’elles parlent une nuit, un jour entier. Dialogues ou soliloques de quelques phrases ou pages. Qu’à l’orée de la forêt elles crient. Instant comme infini. Toujours mutique. C’est entre deux sommeils, ce murmure, cette palabre, ce rire, même ce chant. De silence.

paragraphe 3
Ce serait un  opéra avec cinq solistes rencontré dans la rue; un chœur d’enfant et de vieillards aveugles et sourds et une petite formation orchestrale de cordes et de vents sans instruments. Tous se tiendraient dans un espace blanc, sorte de cube ouvert fait de parois aux cils vibratiles. Pour la lumière j’ai pensé à la neige… On parlerait de musique expérimentale se situant au delà de l’audible… On parlerait d’imposture. Mon opéra durerait trois jours et trois nuits il serait capté en temps réel et retransmis dans une carrière.  « Ce que vous entendrez c’est leur absence » et le public serait informé du risque que comporte cette exposition au silence  

paragraphe 4
De mon opéra il ne resterait pas trace. 

A propos de Nathalie Holt

Rêve de peinture. Quarante ans de scénographie plus loin, écrit pour lire et ne photographie pas que son lit.

3 commentaires à propos de “vers un écrire film #08 | les voix absentes”

  1. Merci Nathalie Holt pour cette sur-exposition aux silences. Votre « savoir ne pas vouloir » résonne en moi. Et Dieu que l’on se sent bien dans la lumière-neige de cet « espace blanc, sorte de cube ouvert fait de parois aux cils vibratiles ». Merci Nathalie et bravo. Vous êtes bien plus convaincante que John Cage : le silence est bien une note.

    • un peu embarrassée avec cette proposition. Prise de biais malgré la consigne … Merci pour Cage Ugo (si le silence est une note, le blanc peut-être une couleur ) et pour la lecture .