#enfance #01 | Phénergan

Au bout de la rue étroite, il se tient devant la porte, un tablier noué sur le ventre, j’arrive en courant, il s’efface pour me laisser entrer, serrée dans ma main une pièce en aluminium de 1 centime peut-être 2. Sans lui parler, sauf un petit bonjour, je file vers le coin des bonbons, il se pose derrière moi, je le sens qui surveille la boîte de caramels mais il me faudrait 5 centimes, je tends la main vers une fusée remplie sirop, une rouge goût grenadine, je la préfère aux jaunes et aux vertes. Sans passer à la caisse je tends ma pièce et je m’échappe. L’épicier retourne devant la porte attendre le chaland. Une ou deux fois, j’ai le temps de chiper un caramel. Plus tard, je le confonds avec mon grand-père Serre, lui aussi en blouse, mains dans les poches devant la vitrine de l’Économat du Centre, pris en photo à Thiers. L’épicier ici s’appelle Durant, mais on l’oublie le plus souvent. 

La marchande de chaussures promène son bichon dans la rue étroite, un petit chien hargneux qui aboie à chaque rencontre, elle l’emmène au magasin sauf exception, et il est jaloux de tout. Mon grand-père Burkhart la surveille, à part les abeilles et les poissons qu’il pêche, des truites fario, des ablettes, il se tient loin des animaux. La mère de Mylène le sait. Elle rebrousse chemin avant d’arriver au numéro 9, vers le massif d’hortensias des Passet. Ceux et celles qu’on a vu naître dans la rue ont un prénom, si la fonction est notoire elle sert de nom. La mère de Mylène, c’est les chaussures. 

Venez, venez, Ma’ame Burkhart, vite, Anne, ( Madame Bonnaterre, prononce An-ne), An-ne, elle fait la crise. Les aigus de sirène d’une fenêtre à l’autre ont réveillé la rue étroite. Ma grand- mère attrape déjà un gilet. Elle court calmer la petite dernière née d’une ménopause dont on parle encore, une enfant timide et malingre que la colère fait hurler, mais insultes et menaces ne font pas peur à ma grand-mère, et souvent c’est la gosse elle-même qui la réclame dans ses hoquets terrifiés. Quand elle revient, elle aun sourire mystérieux et satisfait. – Elle est calmée, et elle va dormir – Madame Bonnaterre paye les bons offices de sa voisine de douzaines d’œufs et de litres de lait, des nourritures dont je cherche à entendre les cris. Et il y a aussi un sirop dont il est question. 

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ

2 commentaires à propos de “#enfance #01 | Phénergan”

  1. merci pour ce mot «phénergan», des années et années qu’il n’avait pas resurgi pour moi, alors que c’est tout un monde de goût, odeur, situations et même visages…

  2. La sonorité des noms qu’on aime retrouver. J’ai l’impression de tous les avoir oubliés pour ma part, c’est peut-être ça qui me rend nostalgique dans vos écrits, le retour des noms à la mémoire.